Mishmar Haemek

L'acropole éducative de la vallée de Jezréel.
Dans la cité-bâtiment construite en 1936 au-dessus du kibboutz, les enfants de Mishmar Haemek vivent une expérience collective d'éducation socialiste.

Dans l'institution d'éducation de Mishmar Haemek · photographie Miko Schwartz, 1944 · University of Haifa, Younes and Soraya Nazarian Library

Mishmar Haemek est, après Beit Alpha, le deuxième kibboutz fondé par des membres du Hashomer Hatzair (« La jeune garde »), le mouvement international de jeunes sionistes-marxistes créé en Pologne en 1913. Le groupe des pionniers se forme en 1922 pendant la troisième alya ou migration des juifs européens en Palestine. Les « jeunes gardes » travaillent plusieurs années au bénéfice des différentes colonies juives du pays ; ce n'est qu'en 1926 qu'ils peuvent prétendre à une installation sédentaire à l'extrémité ouest de la vallée de Jezréel, situation géographique qu'évoque le nom du kibboutz Mishmar Haemek (« Le gardien de la vallée »). Une dizaine d'années plus tard, Mishmar Haemek est devenu une colonie prospère et influente au sein du Kibboutz Artzi, le mouvement kibboutznik créé en 1927 par le Hashomer Hatzair pour fédérer les communautés sionistes socialistes les plus radicales. À la fin de 1935, Mishmar Haemek compte 140 membres ; la colonie a été choisie par le Kibboutz Artzi pour ériger son ambitieux établissement d'enseignement secondaire.

L'unité du kibboutz, qui se développe prudemment par intégration progressive de petits groupes de membres du Hashomer Hatzair, semble solide. À cette époque, la communauté tient dans son réfectoire en moyenne trois assemblées par semaine qu'on appelle « discussions » pour indiquer qu'elles sont ouvertes sans formalisme à tous les membres. On y discute des sujets économiques, du travail à accomplir dans chaque branche, mais aussi d'éducation ou de politique. L'activité économique de Mishmar Haemek est essentiellement agricole. Comme les autres kibboutzim, « Le gardien de la vallée » affronte des conditions sanitaires difficiles (la malaria notamment) et se trouve en manque de logements : en 1935, 14 % des membres vivent dans des habitations définitives, 74 % vivent sous des tentes et 12 % ne disposent pas de logement et doivent être hébergés par les couples mariés.

Les kibboutzim inspirés par le Hashomer Hatzair – les kibboutzim du Kibboutz Artzi –, s'efforcent de se libérer des structures sociales traditionnelles, de la division des sexes ou de la famille dont ils cherchent à minimiser l'influence sur l'organisation communautaire. L'esprit du Hashomer Hatzair influence profondément la conception que le Kibboutz Artzi se fait de l'éducation et de la place de l'enfant dans la communauté. Après la naissance, les enfants du kibboutz sont pris en charge par la collectivité entière ; ils vivent séparément de leurs parents qu'ils ne voient que deux heures par jour. L'idée d'une « société des enfants » plus indépendante encore de l'environnement familial apparaît dans la volonté du Kibboutz Artzi de créer en 1931 à Mishmar Haemek un pensionnat d'études secondaires, une « institution d'éducation » ou mossad pour l'ensemble des kibboutzim qui lui sont affiliés. Les enfants de plus de 12 ans scolarisés dans le mossad de de Mishmar Haemek ne visitent leur kibboutz d'origine et leur famille qu'une fois par semaine. À partir de 1939, d'autres établissements sont organisés par le Kibboutz Artzi ; le mossad de Mishmar Haemek conserve une vocation régionale dans la vallée de Jezréel.

Dans l'idée des leaders du Kibboutz Artzi, la société des enfants a pour objectif de soustraire les jeunes kibboutznikim à l'influence néfaste des anciennes générations et en particulier à l'autoritarisme des pères. Le programme éducatif s'inspire aussi bien du pédagogue américain John Dewey, de Karl Marx, de Sigmund Freud ou de Aharon David Gordon, le « prophète du travail » du kibboutz Degania. La pédagogie s'appuie sur des « projets » travaillés en groupe pendant plusieurs semaines. Les études commencent par des sujets « locaux » qui touchent directement l'expérience des plus jeunes enfants : leur maison, la ferme, l'environnement du kibboutz. À mesure qu'ils grandissent les enfants élargissent leur domaine d'enquête : la région, le pays et le monde sur les plans géographique, social, économique et politique. Les études s'insèrent dans un programme d'activités nombreuses incluant le travail dans la ferme des enfants, l'éducation artistique, la vie sociale. La société des enfants est autonome, la responsabilité et la liberté des jeunes gens sont encouragées par les éducateurs qui sont censés n'être qu'un intermédiaire avec la communauté des adultes (mais qui dans les faits contrôlent toutefois de près le fonctionnement de l'institution). Comme dans le kibboutz, la société des enfants tient ses assemblées dans son réfectoire, prend les décisions qui concernent son organisation, sa vie sociale ou culturelle. Il s'agit de recréer les sociétés de jeunes du Hashomer Hatzair et de former un nouvel « homme du kibboutz », un travailleur fort, éduqué, sensible, moral, actif, loyal à l'égard de la collectivité. Le groupe de ses pairs remplace pour l'enfant sa famille biologique ; le collectif est plus important que l'individu, la coopération est plus appréciée que la concurrence, et la perfection intellectuelle est moins prisée que les valeurs idéologiques, sociales, éthiques et esthétiques. Ces principes éducatifs ont été dans la seconde moitié du XXe siècle l'objet de vives critiques opposant l'épanouissement des individus à la normalisation communautaire de l'éducation selon le Kibboutz Artzi.

Pour manifester d'une manière démonstrative l'importance de l'éducation dans la société nouvelle, le mouvement du Kibboutz Artzi décide de confier la construction de l'institution d'éducation à un architecte moderniste sympathisant du Hashomer Hatzair, Joseph Neufeld, collaborateur d'Erich Mendelsohn à Berlin puis de Bruno Taut à Moscou. Neufeld s'établit à Mishmar Haemek pour élaborer les plans qu'il livre en 1931. Faute de moyens, la mise en œuvre est retardée plusieurs années ; le chantier est exécuté par les membres des kibboutzim eux-mêmes. L'important édifice achevé en 1937 et agrandi en 1938 sur les plans de Neufeld est élevé sur la colline dominant Mishmar Haemek. Il comprend les salles de classe, les services de logement des élèves, leur réfectoire ; la terrasse supérieure permet les activités de plein air sans quitter le bâtiment. La construction de Neufeld, qui a servi jusqu'aux années 1980, a été ensuite complètement abandonnée. La question de sa conservation et de sa restauration faisait débat au sein du kibboutz en 2011.

En 1942, Mishmar Haemek accueille un centre d'entraînement militaire : 160 volontaires juifs sont formés au sabotage par des instructeurs britanniques dans le cas où la Palestine serait occupée par les Allemands. À la veille de la guerre d'indépendance d'Israël, le kibboutz compte 550 habitants. En avril 1948, Mishmar Haemek est le théâtre d'une bataille au cours de laquelle l'armée de libération arabe est défaite par les forces juives de Palestine. L'économie du kibboutz repose sur l'élevage de volailles et l'agriculture. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, elle s'est diversifiée dans l'industrie en 1950 avec l'usine de plastique Tama qui fabrique des objets domestiques et des filets pour l'agriculture et a ouvert des unités de production dans différents endroits d'Israël. Mishmar Haemek accueille également une entreprise de nouvelles technologies, Idea, qui a construit la base de données du musée de l'Holocauste Yad Vashem à Jerusalem.

En 2012, 1 300 personnes vivent à Mishmar Haemek, dont 600 sont considérées comme des membres.

Témoignages

PLASTIQUE TRÈS « ARTZI »

Coquetiers
Plastique · Israël, Tama à Mishmar Haemek, vers 1960


Cette vaisselle économique, standardisée, pratique, pourrait être un emblème du kibboutz Mishmar Haemek. L'influente communauté du mouvement le plus collectiviste des kibboutzim d'Israël, le Kibboutz Artzi, éduque des enfants et élève des poules. Elle fonde en 1950 l'usine de plastique Tama, qui produit toujours des ustensiles alimentaires et des filets pour l'agriculture.


Fabrication d'abat-jour en plastique dans l'usine Tama du kibboutz Mishmar Haemek
Photographie anonyme, 1961 · Israel National Photo Collection



Sources et références

Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 242-243, 266-273.

Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 159-188.

Dvir (Noam), « The Acropolis of Mishmar Ha'emek », Haaretz, 28 mars 2012, [En ligne], URL : http://www.haaretz.com/news/features/the-acropolis-of-mishmar-ha-emek-1.421168, consulté en juin 2012.

« Mishmar HaEmek », Wikipedia, [En ligne], URL : http://en.wikipedia.org/wiki/Mishmar_HaEmek, consulté en juin 2012.



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