Maagan Michael

Dans l'éventualité d'une banqueroute.
Vrai-faux kibboutz d'armement en 1946, puis commune de pêche et enfin d'industrie, Maagan Michael est prospère mais ses membres ont souhaité envisager sa fin.

Le kibboutz Maagan Michael · photographie anonyme, 1982 · University of Haifa, Younes and Soraya Nazarian Library

Maagan Michael (« le port de Michael ») est comme Hatzerim l'un des rares kibboutzim prospères au début du XXIe siècle. Comme la colonie du désert du Néguev, il s'efforce de maintenir les principes traditionnels du kibboutz en les conciliant avec les exigences économiques contemporaines. Mais le kibboutz de la côte méditerranéenne a entrepris de plus profonds changements dans l'organisation communautaire, conséquence de la crise économique qui frappe les kibboutzim depuis 1985. Les membres ont conclu un « nouvel arrangement », valable dans le cas où le kibboutz viendrait à faire banqueroute.

En 1942, un groupe de jeunes du mouvement scout Tsofim Aleph se forme dans l'intention d'établir un nouveau kibboutz. Dans un camp de l'Agence juive du district de Haïfa à Pardess Hanna, ils font l'apprentissage de l'agriculture et des valeurs distinctives du kibboutz. Ils sont rejoints par un groupe de jeunes migrants d'Autriche et d'Allemagne avec lesquels ils séjournent au kibboutz Ein Gev sur le lac de Tibériade où ils s'entraînent à la pêche. Ils partagent le désir d'établir une communauté égalitaire de pêcheurs sur la côte méditerranéenne. À la fin de la seconde guerre mondiale, avec l'appui du mouvement du Kibboutz unifié (Meuhad) auquel ils se sont affiliés, les jeunes gens se voient proposer un domaine appartenant à l'Association juive de colonisation des barons Hirsch et Rothschild situé sur d'anciens marais asséchés dans les années 1920 au pied du mont Carmel. Ils font l'acquisition de leur premier bateau de pêche. Leur installation va cependant être repoussée en raison du conflit entre juifs et Arabes en Palestine avant la création de l'État d'Israël.

En 1946, le commandement des forces militaires juives de Palestine, la Haganah, confie une mission stratégique au groupe de Maagan Michael : fonder un kibboutz près de Rehovot (un site connu ensuite comme la « colline du kibboutz ») destiné à abriter un centre illégal de fabrication d'armement. Au milieu des tentes et des cabanes, est aménagé à 6 mètres de profondeur un atelier souterrain de production de munitions dirigé par les experts de la Haganah. Une boulangerie et une blanchisserie sont construites au-dessus. L'accès à l'atelier se fait par l'ouverture d'une machine à laver, tandis que sa ventilation est assurée par la cheminée de la boulangerie. Trente personnes travaillent à l'armement tandis qu'à l'air libre, les autres membres s'occupent des activités agricoles et industrielles traditionnelles de la colonisation. Les admissions dans le kibboutz sont contrôlées par la Haganah. Les Britanniques, dont les soldats campés à proximité font laver leurs uniformes par la blanchisserie du kibboutz, ne soupçonnent pas son activité illégale. À la fin du mandat britannique, le secret n'ayant plus de raison d'être, l'atelier (aujourd'hui le musée Ayalon) est transféré en août 1948 dans un autre site, et fait partie de la nouvelle industrie militaire israélienne.

Après la guerre d'Indépendance, le groupe de colons (154 membres et 44 enfants) s'installe, le 25 août 1949, à Maagan Michael, sur une colline située entre la mer et le mont Carmel. Les premiers bâtiments en bois ont été fabriqués par l'atelier de menuiserie de la « colline du kibboutz ». Pendant les premiers temps, une partie des membres de Maagan Michael continuent à travailler dans l'industrie d'armement pour apporter leur salaire à la communauté. En plus de la pêche en mer, le kibboutz a développé la pisciculture dans d'immenses bassins couvrant 170 hectares entre la colline et la mer. L'agriculture comprend l'élevage de 300 vaches laitières et de volailles (2 000 tonnes de poulets et 4,5 millions de poussins par an), la culture du coton (aujourd'hui abandonnée), d'avocats pour l'exportation ou de bananes pour le marché local.

Les principaux revenus du kibboutz proviennent toutefois de l'industrie. L'usine Plasson de matériel en plastique est née en 1963 de l'idée de fabriquer des cages légères ainsi que des auges pour la volaille. La production s'est ensuite élargie aux conduites en polyéthylène pour l'eau ou le gaz. La technologie de l'usine est à la pointe et Plasson exporte 85 % de sa production dans le monde entier. Son chiffre d'affaires est de 100 millions de dollars par an. En 2000, elle employait 400 personnes dont la moitié sont membres du kibboutz, plus 200 personnes dans des succursales dans le monde. En 1997, Plasson a mis sur le marché 20 % de son capital. En 1977, Maagan Michael a fondé l'usine Surron de fabrication de composants et d'instruments métalliques de précision, qui exporte 30 % de sa production et employait en 2000 une cinquantaine de travailleurs, pour la plupart membres du kibboutz. Comme la plupart des kibboutzim (et à l'inverse de leurs principes originaux), Maagan Michael a aujourd'hui recours à une main-d'œuvre salariée extérieure, une centaine de personnes en 2000. Le kibboutz n'accepte que deux nouvelles familles par an choisies sur une longue liste d'attente. Dans ces conditions, la communauté ne peut (ou ne veut) couvrir ses besoins de production. Le kibboutz s'efforce cependant de maintenir un lien entre ses membres et la production de ses richesses : chaque homme doit travailler dans l'usine Plasson une semaine et une nuit par an. Les femmes sont exclues de ce service communautaire.

Maagan Michael a la réputation d'un kibboutz traditionnel. Son organisation conserve un caractère démocratique avec l'assemblée générale des membres et la cinquantaine de comités chargés du secrétariat du kibboutz, des finances, de la santé, du travail, de l'éducation, du sport, de la culture... Il a été toutefois parmi les premiers à faire dormir ses enfants chez leurs parents plutôt que dans la société des enfants, à transformer son restaurant communautaire en self-service ou à faire évoluer le système d'indemnités individuelles de ses membres. Les assemblées générales tenues au réfectoire sont retransmises en vidéo dans les maisons du kibboutz. Maagan Michael finance de multiples équipements : écoles, services de santé, communications, transports, bibliothèques, piscine et terrains de sport... À travers les réflexions de ses différents groupes de travail, le kibboutz s'efforce de s'adapter à l'évolution des mentalités en donnant davantage d'indépendance et d'autonomie aux individus, notamment en privatisant une partie du budget domestique ou en offrant une grande diversité de choix dans la vie sociale. Un vétéran de Maagan Michael, Moshe Berechman, résume ainsi la nouvelle philosophie du kibboutz : « Non "chacun selon ses capacités et selon ses besoins", mais "chacun selon ses capacités et selon ses préférences" » (Gavron 2000, p. 199).

La crise financière du mouvement kibboutznik en 1985 (due entre autres causes à des emprunts excessifs pour financer les projets économiques et sociaux) n'a pas affecté l'économie de Maagan Michael. Mais ses membres ont mis en question certains principes traditionnels du kibboutz. S'ils ont rejeté la proposition d'instaurer des salaires différents, ils ont choisi de restreindre l'admission de nouveaux membres et de modifier leur constitution sur le point de la propriété des actifs du kibboutz. Le problème que Maagan Michael se proposait de résoudre était de créer les conditions d'une meilleure motivation de ses membres et d'une plus grande implication de leur part dans le kibboutz. Après l'époque héroïque des pionniers, les kibboutzim d'Israël ont été confrontés à un relatif désengagement de leurs membres dans les affaires communautaires, à une routine notamment sur le plan du travail. Situation subie également par Maagan Michael malgré une forte éthique du travail assez largement partagée. L'assemblée du kibboutz a donc créé une coopérative réunissant l'ensemble des branches de production de la communauté, Yam Carmel, dont font partie tous les membres de Maagan Michael. La propriété de Yam Carmel reste collective mais les membres se voient attribuer des participations relatives à leur ancienneté dans le kibboutz : un vétéran de plus de 30 ans de service détient 100 % de sa part, tandis qu'un nouvel arrivant n'en est détenteur qu'à 3,30 % à la fin de la première année et progresse de 3,30 % tous les ans dans la propriété de son titre jusqu'à 100 %. Au bout du compte, l'égalité est respectée, mais une distinction est faite entre les membres, supposée plus rationnelle et plus motivante (bien que l'ancienneté seule et non la capacité ou le talent soient pris en compte). Les jeunes nés au kibboutz qui deviennent membres bénéficient d'une participation équivalente à 5 ans. La « propriété » des individus est seulement potentielle. Elle ne peut être réalisée que dans le cas où le kibboutz ferait banqueroute : les actifs de Yam Carmel seraient distribués à ses membres selon la formule convenue après paiement des dettes.

Maagan Michael est en 2012 un des plus importants kibboutzim d'Israël en terme de population : il compte 1 412 habitants, dont 791 membres.

Témoignages

Irit Sherman, est née à Rehovot pendant que les membres de Maagan Michael travaillaient à la production illégale d'armement ; elle est en 2000 la coordinatrice des ressources humaines du kibboutz :

« Autrefois, les gens travaillaient où on leur disait. Aujourd'hui, dans de nombreux kibboutzim, ils travaillent où ils le souhaitent. À Maagan Michael, nous essayons de trouver un juste milieu. Nous n'encourageons ni ne décourageons les membres de travailler au dehors, mais comme nous manquons toujours de main-d'œuvre, notamment à l'usine Plasson, si un membre veut travailler à l'extérieur, il doit en obtenir l'autorisation de notre comité. En fait, nous ne refusons jamais. »


(Irit Sherman citée dans Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 202.)


Sources et références

Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 191-208.

Site Internet de Maagan Michael, [En ligne], URL : http://www.maaganm.com, consulté en août 2012.



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