Kvoutza Kinneret

Kinneret, laboratoire du kibboutz.
La ferme-école créée en 1908 par le mouvement sioniste au bord du lac de Tibériade est le creuset des communautés socialistes de la Palestine juive.

La ferme de Kinneret et les monts du Golan à l'arrière-plan du village de Kinneret · imprimé, 1912 · University of Haifa, Younes and Soraya Nazarian Library

En 1908, le mouvement sioniste international, jusqu'ici réservé vis-à-vis de l'émigration juive en Palestine change d'attitude à l'égard de la colonisation. L'échec de la Révolution russe en 1905, la pression de l'antisémitisme sur les juifs d'Europe comptent parmi les raisons de cette évolution. Arthur Ruppin, un jeune sociologue allemand, a carte blanche pour mettre en œuvre en Palestine le sionisme pratique. La première décision de Ruppin à son arrivée est d'établir des fermes d'apprentissage pour les nouveaux colons juifs sur le modèle de celles créées par l'Association de colonisation juive des barons philanthropes français de Hirsch et Rothschild. La première ferme du Bureau de colonisation juive est ouverte en octobre 1908 au bord du lac Tibériade près du village de Kinneret (le nom hébreu ancien du lac de Tibériade ou mer de Galilée). Arthur Ruppin a l'idée de louer ou de vendre les terres aux colons après une période d'expérimentation pour utiliser au mieux le faible capital investi par le mouvement sioniste.

Moshe Berman, le directeur de la ferme choisit spécialement un groupe de jeunes socialistes russes, futurs fondateurs du premier kibboutz Degania, pour former le noyau des travailleurs de la ferme. Les conditions d'installation sont précaires. Les rapports avec le directeur se dégradent assez rapidement. En octobre 1909, une partie des travailleurs, les jeunes Russes en tête, se met en grève après que Moshe Berman ait décidé d'employer des saisonniers arabes pour rentrer les récoltes à temps. Décision contraire aux principes sionistes, jugent les grévistes. Ruppin les exclut mais se propose de faire un essai d'exploitation collective d'une partie de la ferme près du village d'Umm Juni (futur Degania). Il réalise que que son plan de cession de terres à des colons juifs n'est pas applicable dans l'immédiat, parce que les colons ne disposent pas de capital. Ruppin modifie sa stratégie : le Bureau de colonisation va mettre à la disposition de migrants employés par le mouvement sioniste des terres, des outils et du cheptel.

En 1912, la ferme de Kinneret est gérée par une petite communauté de travailleurs, une kvoutsa sur le modèle de Degania. Pendant la première guerre mondiale, Kinneret accueille des douzaines de membres du mouvement travailliste juif de Palestine. Comme sa voisine Degania, la ferme de Kinneret, doit faire face à un afflux de réfugiés déplacés de la côte par les Turcs. Alors que l'élitiste Degania, qui voit dans ce mouvement de population une menace pour son « intimité », offre le modèle d'une communauté familiale d'une haute exigence spirituelle, Kinneret donne l'exemple d'une communauté ouverte. Ses membres ont conscience d'appartenir à un mouvement de masse et se sentent investis du devoir de montrer l'exemple d'une colonie sioniste expansionniste, principe dont vont se réclamer les kibboutzim créés après 1918 au cours de la troisième alya (migration des juifs en Palestine).

L'ouverture et le caractère relativement informel de la kvoutsa Kinneret n'évitent pas que la communauté soit mise en cause, comme c'est aussi le cas pour Degania. Pendant la première guerre mondiale, le mouvement sioniste met sur pied un programme de drainage des marais de la région de Kinneret pour donner de l'emploi aux réfugiés juifs sans travail. La tâche est pénible et les conditions de logement des travailleurs sont sommaires. Des membres des kvoutzot des environs sont employés à la direction des travaux. Les socialistes communautaires sont accusés de tirer profit du travail des réfugiés. Devant cette contradiction, certains membres de la kvoutza Kinneret démissionnent ; après un long temps de réflexion, d'autres prennent finalement en 1919 la décision de refonder Kinneret sous la forme de la « Kvoutsa des soixante », une commune égalitaire de soixante personnes – vingt anciens membres et quarante nouveaux – partageant toutes les tâches, y compris les travaux pénibles comme l'assèchement des marais.

L'économie de Kinneret repose sur l'agriculture. Sa population comprend 606 personnes en 2008.

Témoignages

Israel Bloch est un pionnier de la ferme de Kinneret en juin 1908 :

« Sur la colline dominant le lac, nous avons trouvé un khan à moitié ruiné utilisé comme écurie par le cheick (qui avait vendu ses terres à l'organisation sioniste), et qui avait aussi servi de relais pour les voyageurs. Cette ruine pleine de crottin, dans laquelle les scorpions et les serpents allaient et venaient sans se cacher, nous servait de cuisine, de réfectoire et d'infirmerie. Nous dormions sur la terrasse, dans la chaleur étouffante, sans ombre ni abri. Nous allions chercher l'eau au lac, et nous rapportions de la nourriture de Tiberias ou d'un village des environs. Nous cuisinions à tour de rôle. La nourriture et les conditions sanitaires causèrent de sérieuses maladies. Nous avons réalisé que nous ne pouvions continuer de cette façon, et même si nous avions décidé qu'il n'y aurait pas de femmes dans la ferme à ses débuts, nous avons demandé à Sarah Malkin de se joindre à nous. [Avec son arrivée], nos vies sont devenues plus organisées et nous avons commencé à préparer les champs aux cultures ».

(Israel Bloch cité dans Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 23 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 22-23, 26-27, 45-46.



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