Hatzerim

Un kibboutz du désert efficace et toujours égalitaire.
Fondé en 1946 pour conquérir le Néguev, Hatzerim fait la preuve que les principes communautaires traditionnels du kibboutz sont conciliables avec la gestion d'une entreprise contemporaine.

Champs de jojoba à Hatzerim · © photographie Rambamnik, 2012

Le kibboutz Hatzerim, écrit Daniel Gavron, « possède une usine avec 22 succursales dans le monde entier qui rapporte 250 millions de dollars par an. Ses membres vivent dans de grandes maisons modernes, ont des ordinateurs, des téléphones portables, des cartes de crédit et disposent de voitures particulières. Ils peuvent voyager à l'étranger chaque année. Leurs enfants bénéficient, où qu'ils vivent, d'une éducation élémentaire et secondaire gratuite. À l'inverse, les membres ne possèdent rien ; ils gagnent la même chose qu'ils soient directeurs, ingénieurs ou éboueurs, et tous, quelle que soit leur profession ou leur situation sociale, sont tenus à un service de travail sur la chaîne de production de l'usine. Bienvenue à Hatzerim dans le désert du Néguev, un kibboutz prospère doté d'une économie de pointe florissante » (Gavron 2000, p. 119).

La fondation du kibboutz appartient à un plan de l'organisation sioniste visant à implanter simultanément onze kibboutzim dans des positions stratégiques du désert du Néguev pour pousser les revendications territoriales du futur État d'Israël à la veille de la partition de la Palestine entre juifs et Arabes. Dans la nuit suivant Yom Kippur du 5 au 6 octobre 1946, 25 jeunes hommes et 5 jeunes femmes, des scouts d'Israël venant des kibboutzim Degania et Afikim dans la vallée du Jourdain, s'enfoncent dans le désert du Néguev. Ils plantent leurs tentes sur une colline proche de la cité arabe de Beer Sheva et construisent à la hâte une tour en bois servant de château d'eau, la loi ottomane encore en vigueur interdisant le démantèlement de constructions achevées. L'opération réussit : après le vote des Nations Unies sur la partition de la Palestine en novembre 1947, et après le départ des Britanniques mandataires sept mois plus tard, l'État d'Israël est installé sur un territoire comprenant Hatzerim (« village fortifié » en hébreu biblique). Le refus des Arabes de reconnaître la décision des Nations Unies place toutefois les kibboutzim du Néguev dans une situation précaire. Ils se retrouvent assiégés et les aqueducs les alimentant sont coupés. Pendant la guerre d'Indépendance de 1948, Hatzerim sert de poste avancé pour la conquête de Beer Sheva et ensuite pour la libération du sud du Néguev. Au début des années 1960 sera construite la base aérienne militaire de Hatzerim à l'ouest du kibboutz.

Après la guerre d'Indépendance, le domaine de Hatzerim est élargi, mais avec des terres situées à 30 km au nord, dans une zone plus pluvieuse. Les pionniers sont obligés de vivre dans des abris au bord des champs pour ne rentrer au kibboutz qu'à la fin de la semaine. L'adduction en eau des nouveaux kibboutzim est réalisée mais les membres de Hatzerim réalisent que leurs terres sont salines et impropres à la culture : la question d'abandonner le site se pose. Levi Eskhol, responsable de l'Agence juive de colonisation lance qu'il serait moins onéreux de loger les colons dans le luxueux hôtel Dan de Tel Aviv plutôt que les maintenir dans le Néguev ; le premier ministre Ben Gourion les exhorte à quitter Hatzerim, mais pour s'établir encore plus au sud ! Le 7 février 1959, l'assemblée générale du kibboutz doit se prononcer sur l'avenir de Hatzerim : sur les 64 membres, 29 votent pour rester, 17 pour partir, 14 s'abstiennent et 4 ne prennent pas part au vote. La décision est prise de se donner trois ans pour tenter de faire vivre Hatzerim. Les colons entreprennent de désaliniser les terres tout en ayant conscience que l'économie du kibboutz ne peut se limiter à l'agriculture.

La rareté de l'eau dans le désert va devenir la raison de la prospérité de Hatzerim. L'ingénieur Simha Blas, qui avait imaginé un système révolutionnaire d'irrigation au goutte à goutte, tente justement à cette époque d'en faire l'expérimentation dans les kibboutzim du Néguev. Il s'agit d'arroser les plantations non par le dessus comme le ferait la pluie mais en alimentant directement au goutte à goutte les racines de la plante. Pour mettre au point l'irrigation à partir des canalisations souterraines, Hatzerim s'adjoint les services d'un autre ingénieur, Rafi Mehudar. Le système va transformer l'agriculture en Israël et dans le monde en proposant une solution efficace et très économe des ressources en eau. Le kibboutz va commercialiser la technologie dans le monde entier. Hatzerim possède une laiterie rentable, un élevage de volailles, des champs cultivés, de jojoba notamment dont sa manufacture tire l'huile pour l'industrie cosmétique, mais la majorité de ses revenus proviennent de sa société de systèmes d'irrigation, Netafim Irrigation Equipment and Drip Systems, créée en 1965. Hatzerim a passé des accords de production avec d'autres kibboutzim d'Israël et des centres de fabrication en Australie et aux États-Unis ; il a la pleine propriété de 22 succursales en Chine, au Mexique, en Pologne, au Zimbabwe ou en Thaïlande. Deux-tiers des bénéfices de Netafim reviennent à Hatzerim.

Selon un vétéran de Hatzerim, « Au bout du compte, notre idéologie protège nos intérêts économiques. Nous avons tenu à ce que notre industrie soit reliée avec l'agriculture à cause de notre conviction dans le retour à la terre du peuple juif ; nous nous opposons à tout ce qui nécessiterait l'emploi de travailleurs extérieurs salariés, parce que nous refusons d'exploiter le travail d'autrui » (Gavron 2000, p. 124). Le kibboutz emploie tout de même une vingtaine de personnes extérieures de diverses qualifications, mais reste fermement attaché à ses principes socialistes. Lorsque la communauté atteint les limites de sa capacité de production, elle confie le travail supplémentaire à deux kibboutzim partenaires, Magal et Yiftah, respectivement au nord et au centre d'Israël. En matière financière, Hatzerim est prudent : les investissements et les emprunts sont mesurés. La société Netafim est pourtant dynamique. Elle consacre 5 % de ses bénéfices au développement et à la recherche. Elle a créé en 1973 un département dédié au jardinage sous la marque Waternet, qui propose des systèmes informatisés d'arrosage de plantes d'appartement. La gestion avisée de Netafim a permis au kibboutz Hatzerim d'éviter l'effondrement économique de 1985 qui a affecté l'ensemble du mouvement du kibboutz. En 1999, Netafim a évolué pour devenir une société unifiée, propriété des trois kibboutzim Hatzerim, Magal et Yiftah. Le conseil d'administration est maintenant responsable devant les trois communautés. Pour autant, les membres de Hatzerim sont opposés à l'idée d'une séparation entre le kibboutz et les affaires commerciales et industrielles, une mutation accomplie par les kibboutzim Maagan Michael et Kfar Ruppin. Les membres de Hatzerim s'efforcent de maintenir l'identification du kibboutz à son usine. Tous les membres, qui pour la plupart sont aujourd'hui encore imprégnés de la culture du travail du mouvement kibboutznik, doivent effectuer un service hebdomadaire de travail à l'usine ; la communauté est impliquée en élisant ses représentants (présélectionnés toutefois) au conseil d'administration de Netafim.

Pour les membres de Hatzerim la vie est conforme aux principes traditionnels du kibboutz mais confortable. Les repas de la salle à manger communautaire sont de bonne qualité. Les maisons individuelles ont 75 m² de surface habitable. Les membres qui le souhaitent reçoivent un ordinateur et un téléphone portable. Des voitures peuvent être empruntées à un prix réduit. Les membres dont les familles vivent à l'étranger peuvent aller leur rendre visite aux frais du kibboutz. Chacun reçoit 5 000 $ par an dont il peut faire la dépense avec sa propre carte de crédit. La communauté continue, suivant la pure tradition du kibboutz, à prendre en charge les frais de santé, d'éducation, d'ameublement, de nourriture, des appels téléphoniques locaux, d'eau et d'électricité. Les membres jouissent librement des équipements collectifs comme la piscine, le gymnase, les terrains de sport. Les études des enfants nés au kibboutz sont financées par la communauté même s'ils cessent de vivre à Hatzerim. Les membres perçoivent une retraite et disposent de 100 000 $ à léguer à leurs descendants qui peuvent être utilisés du vivant des membres pour aider leurs enfants à vivre au dehors. Les membres de Hatzerim ne possèdent toutefois pas leur maison ni ne détiennent de parts dans les entreprises du kibboutz qui sont des propriétés communautaires. Ils ne peuvent détenir des comptes bancaires particuliers ni recevoir des dons en argent. Comme la plupart des kibboutzim, Hatzerim a cessé dans les années 1970 de faire dormir les enfants séparément des parents. Il peine à retenir ses jeunes gens. Seulement 40 % d'entre eux choisissent de rester vivre au kibboutz. La longue liste d'attente des candidats à l'intégration permet toutefois aux responsables de Hatzerim d'espérer le renouvellement des talents au sein de la communauté.

En 2012, Hatzerim compte plus de 400 membres et près de 1 000 habitants. Bien que la question y soit discutée, il résiste à la privatisation et à la solution capitaliste préconisée par le mouvement du Nouveau kibboutz après l'effondrement économique des kibboutzim en 1985.

Témoignages

FLEURIR LE DÉSERT

Goutteur autorégulant de micro-arrosage
Plastique · Israël, Netafim, 2013


Les fondateurs de Degania Aleph, le premier kibboutz, proclamaient en 1910 vouloir « faire fleurir le désert ». Hatzerim met au point la technologie pour réaliser la prophétie d’Isaïe.
La rareté de l’eau fait la prospérité de Hatzerim. Le kibboutz, qui s’est obstiné à survivre dans le désert du Néguev, met au point le système révolutionnaire d’irrigation de l’ingénieur Simha Blas. Il s’agit d’arroser les plantations non par le dessus comme le ferait la pluie mais en alimentant directement au goutte à goutte les racines de la plante. Le système va transformer l’agriculture en Israël et dans le monde grâce à cette solution très économe des ressources en eau. La société Netafim Irrigation Equipment and Drip Systems, créée par Hatzerim en 1965 et toujours propriété du kibboutz, est leader mondial des systèmes de micro-irrigation. Elle possède des centres de fabrication en Australie et aux États-Unis et compte 22 succursales en Chine, au Mexique, en Pologne, au Zimbabwe ou en Thaïlande.



Système de micro-irrigation mis au point par l’usine Netafim du kibboutz Hatzerim
Photographie Herman Chanania, 1983 · Israel National Photo Collection



Sources et références

Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 119-139.

Site Internet du kibboutz Hatzerim, [En ligne], URL : http://www.hatzerim.org.il/info/files/hatzerim_eng.htm, consulté en août 2012.



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