Givat Brenner

Givat Brenner, étendard du kibboutz.
Le plus grand kibboutz de Palestine comprend jusqu'à 1 500 personnes. La brillante et innovante commune industrielle fondée en 1928 incarne pendant longtemps l'idéal des socialistes sionistes égalitaires.

Le tableau de répartition du travail de Givat Brenner · photographie Fritz Cohen, 1951 · Israel National Photo Collection

Givat Brenner (« la colline de Brenner ») compte 1520 résidents en 1968. La commune forme un vaste complexe d'habitation, d'industrie, d'éducation et de loisirs : quatre usines, deux théâtres, une école supérieure régionale, un musée, un centre d'archives, un gymnase, une piscine, plusieurs terrains de sport, un vaste restaurant communautaire, un centre de santé ou encore un ensemble résidentiel pour les personnes âgées. C'est un modèle de communauté sioniste et socialiste différent de celui de Degania : Degania est le prototype de la kvoutsa, la petite communauté familiale, tandis que Givat Brenner représente le kibboutz conçu comme une communauté étendue à l'ensemble de la population juive de Palestine.

Depuis la fondation de Degania en 1910, la situation de la région a beaucoup évolué. Après la première guerre mondiale et la fin de la domination ottomane en Palestine, des centaines de jeunes juifs d'Europe de l'Est immigrent sur le territoire placé maintenant sous mandat britannique. Beaucoup des colons de la troisième alya (immigration des juifs en Palestine) sont idéalistes et fortement influencés par la création en 1922 de l'Union soviétique et par les mouvements socialistes de leurs pays d'origine. Ils conçoivent le kibboutz comme une communauté ouverte et illimitée, une communauté nationale opposée à l'unité close et élitiste de la kvoutza. Ein Harod, fondé en 1921 dans la vallée de Jezréel, est la première de ces nouvelles colonies. Les kibboutzim partageant cette philosophie de la communauté vont se considérer comme des sections de Ein Harod. C'est le cas de Givat Brenner, qui fonctionne plusieurs années avant d'adopter un nom distinct de celui de Ein Harod.

En 1927, des Lituaniens, des Ukrainiens et des Russes, et aussi l'italien Enzo Sereni et sa femme Ada, employés comme journaliers dans la région de Rehovot se réunissent pour fonder une communauté. L'Agence de colonisation juive n'a pas de terrains disponibles à proposer à ces démunis. Ils décident de faire l'acquisition d'une petite parcelle de 20 hectares au sud de Rehovot contre la volonté de l'Agence qui souhaite établir à cet endroit des exploitants privés. La communauté naissante reçoit le soutien de Ein Harod qui dépêche un de ses vétérans à Rehovot et use de son influence auprès du mouvement travailliste de Ben Gourion pour favoriser la création du nouveau kibboutz. Le 29 juin 1928, une trentaine de pionniers érigent une baraque servant de réfectoire et dressent quelques tentes sur le site. Pendant les premiers mois, les conditions d'existence sont éprouvantes. Les colons doivent acheminer l'eau dans des bidons à dos d'âne et marcher plus d'une heure dans le sable pour aller travailler à Rehovot ; certains meurent de la malaria. La colonie enregistre des « désertions ».

En 1928, Sereni emploie à l'acquisition des terres l'argent qu'il a reçu de son père pour la naissance de sa deuxième fille Hagar (un nom arabe). L'année suivante, la colonie acquiert 120 hectares supplémentaires grâce à un prêt de la Banque des travailleurs que Sereni s'engage à rembourser avec l'argent récolté auprès de la communauté juive de Rome. En 1929, un groupe d'immigrants allemands rejoint la colonie. Ce renfort n'est pas immédiatement assimilé par la communauté. Les juifs d'Europe de l'Est jugent les Allemands trop intellectuels et cultivés, pas suffisamment endurants ; ils regrettent leur ignorance de l'hébreu et leur méconnaissance des traditions juives. Les uns et les autres travaillent ensemble mais pendant plusieurs années vivront séparément, jusqu'à manger à des tables différentes dans le réfectoire.

Au cours des premières années, les membres du kibboutz doivent travailler dans les fermes environnantes pour subvenir aux besoins de la communauté. En 1929, l'opposition violente des Arabes contre le mouvement de colonisation sioniste les force à abandonner le site pendant plusieurs mois. Mais ils reviennent plus nombreux. Givat Brenner compte 150 membres en 1930 et décide alors de s'émanciper de Ein Harod. L'assemblée générale du kibboutz adopte le nom de Yosef Haim Brenner, un écrivain du mouvement ouvrier, militant de la collaboration entre juifs et Arabes assassiné en 1921 pendant les émeutes de Jaffa. Au cours de l'année 1930, les kibboutznikim forent un puits, érigent un château d'eau et construisent la première habitation permanente, une maison à un étage, aux murs renforcés pour faire face aux attaques. Beaucoup de membres continuent cependant à habiter sous les tentes circulaires pendant de nombreuses années.

Au commencement, l'assemblée générale est l'organe principal de la gouvernance. Elle élit un comité de direction et débat publiquement l'admission de nouveaux membres. La communauté se veut strictement égalitaire, éminemment collective et transparente. Elle rejette les propositions d'Enzo Sereni de voter l'admission à bulletin secret ou d'attribuer des allocations individuelles. Il ne peut y avoir de propriété privée, même pour se vêtir. Avec l'augmentation de la population de Givat Brenner (280 en 1933, 545 en 1935, 1 600 en 1958) due à l'afflux de migrants fuyant le nazisme, la démocratie du kibboutz change de nature. Un conseil élu est créé pour servir de corps intermédiaire entre l'assemblée générale et le comité de direction. Il est devenu nécessaire d'éditer un bulletin quotidien pour informer les membres de la teneur des discussions du conseil et des décisions prises par la direction. Une vingtaine de comités assistent la direction dans l'organisation de la vie du kibboutz : logement, main-d'œuvre, sécurité, culture, sport, éducation, santé et même un comité de fumeurs pour la distribution de cigarettes.

Comme à Ein Harod, et suivant un principe commun à l'ensemble des kibboutzim (à l'exception de Degania), les enfants de Givat Brenner forment une communauté distincte vivant jour et nuit dans un quartier séparé (plus confortable pendant longtemps que les tentes des adultes). Ils sont sous la protection du kibboutz et les parents naturels ne les voient que quelques heures par jour. L'école de Givat Brenner est ouverte en 1936. Ils participent à l'entretien de leurs maisons et les plus âgés effectuent plusieurs heures de travaux agricoles quotidiens pour la communauté. Une éducation progressiste, inspirée en particulier par les idées de l'américain John Dewey, y est dispensée.

L'idéal du petit kibboutz agricole des sionistes de la deuxième alya n'est pas partagé par les membres de Givat Brenner. Ils commencent par exploiter les ressources de la culture de la vigne et des arbres fruitiers, de l'élevage de volailles et de vaches laitières, mais ils ont dès le départ l'ambition de devenir un kibboutz industriel. Ils développent les industries de jus de fruit, de conserves, d'alimentation pour les nourrissons et de mobilier en bois, et créent après l'indépendance d'Israël une fonderie de matériel d'irrigation.

Après la Shoah, Givat Brenner joue un rôle actif auprès des organisations clandestines juives d'armement et d'immigration. Les autorités britanniques perquisitionnent le kibboutz, où elle découvre des caches d'armes ; 50 membres de Givat Brenner sont déportés à Chypre. Pendant la guerre d'Indépendance de 1948, 44 kibboutznikim perdent la vie dans les combats contre les forces arabes. Le domaine du kibboutz s'agrandit ensuite des terres abandonnées par leurs propriétaires arabes exilés. En 1951, Givat Brenner compte quelque 1 500 résidents, dont 900 membres. La vie culturelle, déjà intense à l'origine du kibboutz, est florissante : des écrivains, des artistes, des musiciens vivent dans la communauté qui forme un cercle dramatique, un orchestre et un chœur. Le sport est une des spécialités de Givat Brenner : son équipe de basketball figure dans la première division israélienne.

La colonie est alors traversée par la crise politique qui secoue le mouvement du Kibboutz unifié (Kibboutz Meuhad) lorsque l'État d'Israël, neutre jusqu'ici, prend parti pour les États-Unis contre l'Union soviétique dans la guerre froide entre l'Est et l'Ouest. Le mouvement kibboutznik marxiste, Kibboutz Artzi, se déclare pro-soviétique, tandis que l'organisation des petites communes, Hever Hakvutzot, soutient le premier ministre David Ben Gourion. Le Kibbutz Meuhad est partagé. Le mouvement est en majorité opposé à Ben Gourion, se proclame communiste sans choisir pour autant le camp soviétique. Dans les kibboutzim, et même au sein des familles, ceux qui avaient tant lutté pour construire des communautés soudées se déchirent à propos de l'adhésion au marxisme-léninisme, question qui n'a pour ainsi dire aucune influence sur leur vie quotidienne. Dans les réfectoires, les camps opposés mangent séparément. À Givat Brenner, les débats conservent de la modération. La majorité se trouve à gauche. Une minorité, 120 personnes parmi lesquelles beaucoup de fondateurs de Givat Brenner, se séparent en 1951 pour participer à la fondation au nord de Rehovot du kibboutz Netzer Sereni, du nom de leur camarade italien, résistant mort à Dachau en 1944 et partisan d'une certaine souplesse du communisme kibboutznik.

D'autres problèmes affectent les kibboutzim dans les années 1950. Ils se montrent incapables d'absorber les nouveaux flux migratoires des pays musulmans du Moyen Orient : 4 % seulement des nouveaux migrants s'installent dans les kibboutzim alors que de la population d'Israël (dont 7,5 % de kibboutznikim) est multipliée par deux. À la discipline communautaire rigide, les nouveaux arrivants préfèrent une coopération plus souple dans les villages moshavim. L'influence des kibboutzim sur la société décline. Leur croissance est freinée. Ils ne trouvent du renfort que dans les mouvements de jeunesse locaux et par accroissement naturel. Leur développement et leur devoir national pour la résorption du chômage (à la différence d'autres communautés, les kibboutzim ne font pas sécession avec la société dont ils veulent plutôt être l'avant-garde) les entraînent à avoir recours au travail salarié et donc à accepter deux catégories de travailleurs – les membres et les non membres –, sérieuse entorse au principe de « l'auto-travail » et intrusion de l'exploitation capitaliste en milieu socialiste. Les industries de Givat Brenner vont embaucher plusieurs centaines de travailleurs extérieurs. La question des réparations allemandes aux kibboutznikim spoliés ou rescapés des camps d'extermination fait évoluer celle de la propriété privée au sein du kibboutz. À Givat Brenner, les victimes versent l'essentiel de l'argent perçu à la communauté. La tolérance à l'égard des victimes du nazisme va peu à peu se généraliser à l'ensemble de la communauté. Jusqu'aux années 1950, tout don ou cadeau reçu par un membre doit être déclaré au trésorier et mis à disposition du kibboutz. Un poste de radio offert à un membre est installé pour tous dans un espace collectif. Avec la banalisation de biens de consommation, on accepte peu à peu que les kibboutznikim gardent chez eux le poste de radio, le téléviseur, la chaîne stéréo qu'ils ont reçus.

La discipline communautaire continue à s'assouplir dans les années 1970. Givat Brenner est l'un des premiers kibboutzim à autoriser les enfants à dormir chez leurs parents plutôt que dans les maisons des enfants et à encourager les études supérieures à l'Université, voire à les financer. L'époque de prospérité que connaît Givat Brenner lui permet de bâtir un important complexe résidentiel pour les kibboutznikim retraités de plus en plus nombreux.

La crise économique qui fait péricliter de nombreux kibboutzim dans les années 1980 n'affecte pas immédiatement Givat Brenner, dont les bénéfices de l'usine Rimon de jus de fruits et de conserves sont substantiels (30 millions de dollars de chiffre d'affaires en 1985, plus de la moitié des revenus du kibboutz). La même usine entraîne en 1995 la faillite de Givat Brenner. De mauvais choix industriels mais aussi l'affaiblissement de l'esprit communautaire parmi les membres, le vieillissement de la population, le départ de jeunes talents, le manque de dynamisme et d'adaptabilité dans la conduite des affaires ou l'arrivée aux postes de direction de personnes extérieures sont parmi les causes déclarées de la situation. Après la vente de Rimon, ne subsistent en 1999 à Givat Brenner qu'une manufacture de meubles, un atelier d'aluminium, une unité de programmation informatique, un atelier de couture, une manufacture d'objets artisanaux, et quelques productions agricoles – gazon, volaille, laiterie, verger. Comme aux commencements, beaucoup de membres occupent des emplois à l'extérieur et reversent leur salaire à la communauté. Pour augmenter ses ressources et maintenir ses équipements et ses services communautaires, Givat Brenner loue ses installations et projette une opération immobilière sur une partie de ses terres ; le kibboutz a créé également un parc de loisirs pour les enfants, « La Maison des rêves ».

Témoignages

Jessie Sampter, écrivain, socialiste, sioniste, pacifiste et végétarienne, est une Américaine qui émigre en Palestine en 1919. Elle rejoint le kibboutz Givat Brenner en 1929. Elle écrit peu après à sa sœur :

« Tout le monde travaille ici. On ne peut vivre ici et ne pas travailler, ce serait impossible d'un point de vue spirituel. Tout le travail est fait sans être rémunéré. Tous les gains vont dans la caisse commune. La vie ici est très libre et les personnes y sont prises en considération. Chacun est traité selon ses besoins. L'idéal qui nous guide est, autant qu'il est possible, de donner à chacun de quoi satisfaire ses besoins et recevoir de chacun tout ce qu'il peut donner. Comme tu le dis, cela ne marche pas toujours aussi bien. Mais je maintiens que cette expérience est un grand succès, non au regard de l'idéal, mais en comparaison avec les autres sociétés. »

(Jessie Sampter, citée dans Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 55 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Avner Zacks, âgé d'une cinquantaine d'années, est en 2000 le secrétaire du kibboutz Givat Brenner :

« Nous avons un directeur commercial qui n'est pas membre du kibboutz. Et cela vous en dit long. Je ne veux pas le crier trop fort, mais il y a un processus de sélection négative en cours ici. Nous avons perdu une partie des meilleurs et des plus brillants de nos jeunes adultes. Deux-tiers de nos membres ont plus de 50 ans et plus d'un tiers ont l'âge de la retraite. Nous n'avons pas assez de membres dans la tranche d'âge de 25 à 40 ans et, franchement, ceux qui sont restés ne sont pas les meilleurs. Je ne veux pas les accabler. La plupart d'entre eux sont des gens biens, de solides travailleurs, mais les membres nés au kibboutz et qui avaient de l'ambition et le sens de l'initiative ont été trop nombreux à partir. Nous avions besoin d'un directeur de l'extérieur. »

(Avner Zacks, cité dans Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 68 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


CHANGER DE LONGUEUR D’ONDE

Poste de radio portatif à lampes
Bois, métal, cuir et verre · Pays-Bas, Philips à Eindhoven, modèle de 1949


Jusqu’aux années 1950, l’idéal égalitaire de Givat Brenner est partagé par la grande majorité des membres du puissant kibboutz. La propriété privée est bannie de Givat Brenner. Même les biens de nature domestique – les vêtements ou le mobilier des habitations – sont communautaires. Pour écarter tout soupçon de privilège, les kibboutznikim déclinent l’offre de cadeaux personnels ou confient ceux-ci à la communauté toute entière.
Après la deuxième guerre mondiale, sous la pression des indemnisations individuelles versées par l’Allemagne et sous l’influence de la société de consommation, la discipline égalitaire des membres vacille. Après d’âpres discussions, la propriété personnelle d’un poste de radio, écoutée auparavant dans des salles d’audition collective, finit par être tolérée. Il en va de même par la suite des tourne-disques ou des téléviseurs. Aux oreilles des pionniers, les postes de radio familiaux sont coupables de différenciation sociale au sein du kibboutz.


Givat Brenner
Photographie Zoltan Kluger, 1936 · Israel National Photo Collection



Sources et références

Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 256-261.

Gavron (Daniel), The Kibbutz: Awakening from Utopia, 2000, p. 43-87.



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