Tour et palissade.
7 juin 1937 : le kibboutz Ein Gev s'édifie en un jour au bord du lac de Tibériade, sur la frontière avec la Syrie.
Le kibboutz Ein Gev est la première implantation juive sur la rive est du lac de Tibériade, au pied des monts du Golan sur la frontière avec la Syrie. Il est fondé le 7 juin 1937 suivant la stratégie des colonies « tour et palissade » par un groupe de migrants d'Allemagne, d'Autriche et des pays de la Baltique. Ils se sont formés à la pêche et à l'agriculture dans la ferme de Kinneret sur la rive opposée du lac, une des bases pour de nombreux kibboutzim, où les colons juifs perfectionnent aussi leur apprentissage des principes de la commune égalitaire.
La proposition de partition de la Palestine entre juifs et Arabes formulée en 1937 par la commission de Lord Peel est rejetée par les Arabes qui entrent en révolte contre les forces mandataires britanniques et les installations juives. Les organisations sionistes veulent de leur côté gagner des positions territoriales avantageuses dans la perspective de la partition en installant des colonies agricoles sur des terres acquises par le Fonds national juif et exposées aux attaques des Arabes. Les sionistes, qui se dispensent parfois de l'autorisation des Britanniques, mettent à profit une ancienne loi ottomane encore en vigueur sous le gouvernement mandataire qui interdit le démantèlement de tout édifice achevé, même construit illégalement. La stratégie d'implantation est d'élever en un jour avec des éléments préfabriqués en bois une tour de garde et de signal entourée d'une enceinte de 35 m de côté faite d'une double palissade remplie de pierres et plus loin d'une clôture de fils barbelés ; des baraques faites de panneaux assemblés sont érigées pour abriter un contingent d'une quarantaine de pionniers. Les colonies créées peuvent communiquer par signal lumineux avec les installations déjà existantes.
Jusqu'ici, la colonisation sioniste obéissait à des objectifs principalement économiques ; elle suit désormais une stratégie géopolitique qui vise à définir le territoire du futur État d'Israël. Dans ces circonstances, l'idéologie socialiste des kibboutzim ne dissuade plus le mouvement sioniste de leur apporter son soutien. Il existe 41 kibboutzim en Palestine en 1935 ; de décembre 1936 à octobre 1939, ce sont 36 nouveaux kibboutzim qui seront installés selon le principe « tour et palissade » (sur 53 colonies au total), principalement dans la vallée de Beit She'an, dans la vallée du Jourdain et en Galilée. Le mouvement du kibboutz, quant à lui, tout en revendiquant représenter l'ensemble des travailleurs, se considère depuis l'origine comme une élite au service de la communauté juive de Palestine et du peuple juif en général. Il en fait la démonstration à l'occasion de la révolte arabe. Abandonnant ses idées de fraternisation avec ses voisins arabes, le kibboutz évolue d'une idéologie d'auto-défense passive à la conception d'une défense plus active ou préventive mise en pratique dans les « tours et palissades ». Dès octobre 1936, lors d'une conférence du Kibboutz unifié au kibboutz Yagur, Yitzhak Tabenkin, le leader de Ein Harod, déclare : « L'idée d'auto-défense sera réalisée quant elle cessera de dépendre de la volonté d'un petit groupe de gens, et deviendra une responsabilité de l'ensemble de nos colonies ; alors le kibboutz deviendra une cellule pionnière de travail, de défense et de colonisation » (Near 1997, I, p. 311). De son côté, A. D. Gordon, le pacifique « prophète » du travail de Degania et des kvoutsot, déclare : « Le fusil est devenu un instrument de travail. Nous ne nous déplaçons pas sans lui. Nos concepts ont changé : nous, hommes de la kvoutsa, ne sommes pas vraiment enthousiasmés par les armes. En réalité, nous avons toujours eu tendance à les dénigrer. Maintenant, le fusil est aussi essentiel que nos instruments de travail, davantage encore. Il est bon d'avoir un fusil à la main. Cela donne de la sécurité. Nos frères en Allemagne et en Pologne sont bien moins chanceux que nous » (Near 1997, II, p. 312).
Jusqu'à la guerre des Six Jours en 1967, Ein Gev est isolé et subit les attaques des forces syriennes. Le kibboutz n'est relié à Israël que par bateau à travers le lac. La commune égalitaire se tourne d'abord vers la pêche et la conserverie de sardines, mais trouve aussi des ressources dans une agriculture intensive (production de bananes, élevage de vaches laitières et d'autruches). Ein Gev s'est lancé avec succès dès les années 1950 dans le tourisme avec un restaurant de poissons, une compagnie de croisières sur le lac, Kinneret Saling Co., puis un important centre de vacances, Ein Gev Holyday Resort. En 1943, le kibboutz fonde le premier festival de musique d'Israël, pour lequel il construit une salle de spectacles de 2 500 places.
En 2002, la population de Ein Gev est de 521 habitants.
La stratégie de colonisation « tour et palissade », à l'origine de la fondation du kibboutz Ein Gev le 7 juin 1937, est pour la première fois mise en pratique le 10 décembre 1936 à Tel Amal (Nir-David) dans la vallée de Beit She'an. Sur son exemple 52 colonies seront créées en 3 ans. Le récit générique de l'installation d'une colonie de la période « tour et palissade » est donné par un contemporain des événements ; il vaut vraisemblablement pour Ein Gev :
« Le jour de l'installation a été fixé à l'avance, après que tous les nombreux obstacles aient été surmontés et que les préparatifs pratiques aient achevées : la consolidation des terres désignées [leur réunion en un domaine continu] et leur évacuation [par les précédents occupants], la confirmation de la disponibilité des fonds nécessaires, l'agrément des autorités britanniques, qui n'est pas facile à obtenir, et la préparation des équipements défensifs. Pendant quelque temps avant le jour de l'installation, on se prépare fiévreusement pour que tout le matériel du camp, les constructions et tout ce dont on a besoin sur place soit prêt à temps. Dans un kibboutz ou un village proche, des membres du groupe de colonisation, ainsi que des volontaires et des gens mobilisés (des juifs membres de la police de colonisation) venus des kibboutzim voisins, rassemblent tous les éléments de la nouvelle colonie : les panneaux de la palissade de défense, la tour de garde, les cabanes pour le logement, un projecteur, l'équipement pour la clôture de fil de fer barbelé et les principaux instruments nécessaires au travail et à la défense. Au moment du départ, il y a un sentiment profond d'espoir. Les membres du groupe de colonisation se réunissent. Pendant la nuit, eux et leur équipe vont achever toutes les préparations, mettre au point les détails de l'opération et attribuer les différentes tâches aux forces disponibles. Durant la nuit, ils chargent tout l'équipement sur des camions qui ont été réquisitionnés dans toutes les colonies de la région. Longtemps avant l'aube, l'ensemble du convoi – en camions, en charrettes, certains en voiture et d'autres à pied – se met en marche vers le site désigné. Ils sont accompagnés de nombreux amis et camarades, des douzaines de policiers qu'on a fait venir des kibboutzim des environs, des représentants des autorités de colonisation et du Histadrut [l'organisation des travailleurs juifs de Palestine], et des commandants des forces de la Haganah [l'organisation militaire juive de Palestine] dans le district. Ils emportent avec eux des tonneaux d'eau, de nourriture et de matériel de premier secours. Dans beaucoup de cas, des membres de la branche locale du Hapoel [l'organisation sportive du Histadrut, souvent une couverture pour la Hagana] et d'autres de la ville la plus proche prennent une part active au travail.
Aux premières lueurs, le travail commence. Les premiers sont les faucheurs qui coupent les chardons et les herbes et dégagent le terrain pour les constructeurs. On trace le périmètre du camp, on enfonce des pieux dans le sol, et on dresse une double paroi autour du camp. Des cailloux sont apportés des camions dans des paniers et versés entre les parois. Là, formant une longue file et se passant les paniers de main en main, il y a des vieux et des jeunes, des vétérans et des nouveaux venus, des hommes et des femmes, tous versant leur sueur et tous animés d'un bon esprit. En peu de temps, la tour est érigée, annonçant au loin qu'une nouvelle colonie juive est sortie de terre.
En même temps, un autre groupe monte les cabanes, qui grandissent à chaque heure jusqu'à ce qu'elles soient achevées. Voilà qu'un autre groupe déroule deux clôtures de fil de fer barbelé autour du camp, pendant que d'autres creusent des tranchées et aménagent les postes de défense pour qu'ils soient prêts à repousser n'importe quel ennemi. Les techniciens installent le projecteur sur la tour pour qu'il puisse remplir son office. Les femmes distribuent de la nourriture et de l'eau pendant que le travail se fait, car le temps est précieux et le jour touche à sa fin. Le soir, le camp s'élève à l'endroit choisi ; la toute petite colonie nouveau-née brille dorénavant loin dans l'étendue sauvage qui l'entoure. Tous ceux qui ont pris part à l'opération – les nouveaux colons et leurs voisins, les représentants des instances de colonisation et du Histadrut – font des discours, des mots transmis d'un cœur à l'autre, et le chant de ces travailleurs et de ces constructeurs surgit dans le silence du soir. Le projecteur envoie ses premiers messages aux colonies du voisinage. »
(cité dans Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 317-318 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)
Near (Henry), The Kibbutz Movement. A History, 1997, vol. I, p. 299-328.
« Ein Gev », Jewish Virtual Library, [En ligne], URL : http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/judaica/ejud_0002_0006_0_05638.html, consulté en août 2012.