Yellow Springs

Les communistes prennent les eaux à Yellow Springs. Après quelques semaines d’une danse sociale qui a effacé toute distinction entre eux, deux ou trois cents owénistes de la première heure se lassent d’une égalité qui ne rend pas justice aux qualités individuelles. Les eaux curatives de Yellow Springs n’y font rien, ni Robert Owen venu en médiateur au début de 1826.

Source ferrugineuse de Yellow Springs, Ohio · (cc) photographie ElyceFeliz, 2011

À la fin de 1824, Robert Owen, qui s'apprête à prendre possession de New Harmony, est de passage à Cincinnati où il expose son projet de fonder des communautés égalitaires. Les idées de l'industriel britannique, relayées par la New York Society for Promoting Communities, ont déjà touché l'Ohio avant qu'Owen ne vienne aux États-Unis. Daniel Roe et les membres de l'Église de la Nouvelle Jérusalem, une société d'adeptes du philosophe spiritualiste Swedenborg, s'enthousiasment pour le communisme owénien. Roe visite New Harmony en avril 1825 et à son retour, les membres de la récente Owenite Society décident de fonder une communauté selon les vues du réformateur. En juillet 1825, ils acquièrent pour la somme de 4 000 $ un domaine de 290 hectares situé à Yellow Springs, à 120 km au nord de Cincinnati. Une centaine de familles s'y installent.

La propriété est détenue en commun par les premiers acquéreurs et leurs successeurs qui sont désignés par les membres de la colonie. La communauté est strictement non religieuse. Le dimanche est un simple jour de repos et de distractions. La danse est considérée à Yellow Springs comme le meilleur moyen d'entretenir la condition physique et de développer la sociabilité des membres de la colonie. La communauté bâtit en rondins de bois un long bâtiment d'habitation à un seul niveau, divisé en petits appartements, avec une cuisine et une salle à manger à une extrémité. Les repas sont pris en commun. Les colons se mettent au travail sans tenir compte de leur position sociale et professionnelle antérieure. Mais après quelques semaines de labeur égalitaire, les différences sociales antérieures réapparaissent dans le comportement et le discours des membres. Au bout de trois mois, il est décidé de scinder la communauté en plusieurs groupes. S'ils reconnaissent que l'égalité sociale n'est pas réalisable, les colons veulent encore croire aux vertus de la propriété collective. Rapidement toutefois, la recherche de la prospérité commune est minée par les intérêts individuels des uns et des autres : les artisans font valoir que leur travail est deux fois plus rentable que celui des agriculteurs et qu'en conséquence ils devraient travailler deux fois moins ; les musiciens de la fanfare considèrent que l'harmonie des cuivres est aussi nécessaire au bonheur commun que le pain et la viande et refusent d'aller aux champs ou d'entrer dans l'atelier ; un conférencier en sciences naturelles ne veut que parler pendant que les autres travaillent. Les causes de dissensions et l'expression de l'opposition entre travail qualifié et non qualifié sont les mêmes qu'à New Harmony.

L'annonce de l'échec de Yellow Springs à la fin de 1825 inquiète les dirigeants de New Harmony qui redoutent l'effet qu'elle peut avoir sur le mouvement dans son ensemble. Owen se rend à Yellow Springs en janvier 1826 mais n'y rétablit pas l'harmonie. La communauté doit encore payer la moitié de la somme fixée pour l'acquisition du domaine et se trouve en défaut de paiement. William MacLure vient à son tour au chevet de la colonie qui attend de lui un soutien financier. Il ne trouve sur place en juillet 1826 qu'un groupe de 9 ouvriers maugréant contre un tout aussi petit groupe des premiers acquéreurs du domaine qui ont ouvert un hôtel et refusent d'en partager les bénéfices. Les premiers font valoir que leur travail depuis un an à Yellow Springs leur donne un droit identique à celui des détenteurs du capital initial. Maclure ne parvient pas à les réconcilier. La communauté de Yellow Springs est dissoute le 3 janvier 1827 et le domaine restitué à ses anciens propriétaires. Le site de la communauté owéniste a été intégré dans l'Antioch College fondé en 1852.

Témoignages

Un participant aux débuts de Yellow Springs décrit la ferveur des commencements :

« Les hommes qui n'avaient jamais travaillé de leurs mains, écrit un des participants, se lancèrent dans l'agriculture ou l'artisanat avec un zèle louable même si les connaissances leur faisaient parfois défaut. Les ministres de l'Évangile poussaient la charrue, ils appelaient les cochons avec du maïs au lieu d'exhorter les pêcheurs à la repentance, et laissaient la patience accomplir parfaitement son œuvre sur une paire de bœufs indisciplinés. Les commerçants échangèrent leur mesure pour le râteau ou la fourche. Tous semblaient travailler avec allégresse pour le bien commun. Le sacrifice de soi était en apparence supérieur chez les femmes. Les dames qui n'étaient que rarement entrées dans leur propre cuisine allèrent dans le restaurant communautaire et se rendirent utiles au milieu des casseroles et des chaudrons. Et les demoiselles élégantes, qui avaient été servies toute leur vie servirent à leur tour les autres à table. Et plusieurs fois par semaine, tous pouvaient se mélanger dans les danses de société qui avaient lieu dans la grande salle à manger. »

(Cité dans John Humphrey Noyes, History of American Socialisms, 1870, p. 63-64 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


LA DANSE SOCIALE

Chaussures de square dance et leur boîte
Cuir, plastique ; carton · États-Unis, Rockmount à Denver (Colorado), deuxième moitié du XXe siècle


Au temps de leur brève union, les égalitaires de Yellow Springs étaient grands amateurs de danse, quadrille, country dance, square dance. D'après un observateur, les membres de la communauté considéraient la danse comme une forme élevée de l'éducation physique et sociale.
« Tous semblaient travailler avec allégresse pour le bien commun. Le dévouement des femmes était encore plus manifeste. Les dames qui n'avaient fait qu'entrevoir leur propre cuisine, pénétrèrent dans celle du restaurant collectif (autrefois un hôtel) et se rendirent utiles parmi les casseroles et les marmites. Et les demoiselles élégantes, qui avaient été servies toute leur vie servirent à leur tour les autres à table. Et plusieurs fois par semaine, tous pouvaient se mélanger dans les danses de société qui avaient lieu dans la grande salle à manger. » (Cité par John Humphrey Noyes, History of American Socialisms, 1870, p. 63-64.)


Salle de danse aux États-Unis
Photographie Alan Fisher, 1938 · Library of Congress, Washington D.C.



Sources et références

Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 59-65

Edson, Yellow Springs Society, Cooperative Society of Alleghany County, Nahoba, 1893.

McKinley, « A Guide to the Communistic Communities of Ohio », Scholarly Journal of Ohio Historical Society, 1937.

Smith (Ophia D.), « The Beginnings of the New Jerusalem Church in Ohio », The Ohio State Archeological and Historical Quaterly, 61, 1951, p. 235-261.

Bestor (Arthur), Backwoods Utopias. The Sectarian Origins and the Owenite Phase in Communitarian Socialism in America: 1663 - 1829, 1970, p. 210-213.

Sutton (Robert P.), Communal Utopias and the American Experience: Secular Communities, 1824 - 2000, 2004, p. 17.



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