East Wind Community

Frais vent d'est.
« East Wind n'est peut-être pas encore une utopie, mais au moins nous faisons pour le mieux », disent les East Winders. Leur arsenal réglementaire en faveur d'une démocratie vivante en atteste.


Les casiers des membres de East Wind · photographie anonyme, vers 1975 · courtesy East Wind Community

Le nom de la communauté d'East Wind est Inspiré par une image de Mao Zedong : le socialisme est le vent d'est qui balaie le capitalisme occidental. La communauté du Vent d'est, égalitariste, laïque et démocratique est établie en 1974 sur un domaine de 422 hectares dans le sud du Missouri. Elle est formée par un groupe de membres de Twin Oaks conduits par Kat Kinkade qui se trouve alors en désaccord avec la communauté de Virginie qu'elle a contribué à fonder en 1967. East Wind s'inspire librement des principes énoncés par le psychologue comportementaliste Skinner dans sa fiction Walden Two. L'idée de Skinner et des premiers Twin Oakers est de créer un nouvel ordre économique, social et environnemental avec la multiplication de communautés rurales coopératives (et non concurrentielles), autosuffisantes (et non consuméristes), épanouissantes pour les individus (et non frustrantes), participatives, pacifistes et écologiques. La valeur d'exemplarité pour le monde du modèle social communautaire skinnerien est inscrite dans les statuts de East Wind rédigés semble-t-il par Kate Kinkade ; ils sont adoptés en 1978.

Après des essais infructueux d'installation, le groupe de pionniers doit travailler quelque temps à Boston avant de venir en 1974 sur les monts Ozark dont ils apprécient la beauté du paysage. La ferme comprend alors seulement une maison, une grange, deux constructions annexes et un puits. East Wind Community obtient en tant que société non commerciale sa reconnaissance légale de l'État du Missouri en novembre 1974. Les East Winders s'équipent au fur et à mesure de l'accroissement de leur population. Ils sont au nombre de 11 puis 30 en 1974, de 40 en 1975 et de 60 en 2011 (les statuts de 1978 fixent à 750 le nombre de membres à atteindre). En 1975, ils achèvent une résidence de 21 chambres et en 1976 le bâtiment communautaire nommé Rock Bottom où sont aménagées la cuisine et la salle de repas au rez-de-chaussée et une salle de jeux à l'étage. En 1978, un nouvel édifice d'habitation de 12 chambres est élevé : il comprend une cuisine et une salle de bains communes, une salle de télévision et de jeux vidéo ainsi qu'une bibliothèque. En 1992, est construit le bâtiment dévolu aux jeunes enfants et à leurs parents.

East Wind est une communauté autogérée fondée sur la propriété collective et un partage des services aussi étendu que possible. La propriété individuelle des membres est réduite à quelques effets personnels à partir de leur admission au sein de la communauté. Ils restent détenteurs des biens qu'ils amènent avec eux et qu'ils mettent à disposition de la communauté (un véhicule, de l'argent, un instrument de musique...). La gouvernance d'East Wind est assez élaborée et codifiée. Ses statuts affichent une ambition simple mais élevée : East Wind « se gouverne elle-même par tout les moyens raisonnables que désirent ses membres » (Statuts de 1978, art. IV 1). À la différence de la communauté fictive de Walden Two, dont le gouvernement est confié à des scientifiques, la constitution (Legislation and Policy) d'East Wind est démocratique ; elle définit les processus de décision : les assemblées communautaires, les pétitions, les votes à la majorité simple et ceux à la majorité des deux-tiers, la résolution des plaintes, les élections, l'établissement des lois et des règles, les réunions du conseil. L'objectif est d'établir un gouvernement participatif, contrôlé et adaptable. L'admission au sein de la communauté est gratuite et ne requiert pas d'adhésion religieuse ou idéologique ; elle est précédée par un séjour de trois semaines à l'issue duquel la personne accède au statut de membre provisoire pour une durée de trois mois à deux ans ; son admission définitive est soumise au vote à la majorité simple de l'assemblée communautaire. Les membres provisoires ont un droit de vote limité. La communauté veille à la parité des sexes dans le processus d'admission. Les règlements définissent aussi un statut d'associé, participant non votant, et d'enfant membre, qui peut être appelé à exercer un droit de vote sur certains sujets. Le conseil communautaire est formé de cinq membres renouvelés chaque année : quatre membres tirés au sort et un membre élu à la majorité simple pour présider le conseil qui se réunit une fois par semaine. Le conseil, qui a créé un comité de planificateurs, assiste la communauté dans son développement. Les membres peuvent provoquer une assemblée générale sur tout sujet en réunissant la signature de 10 % des membres. Une majorité des deux-tiers des voix de l'assemblée communautaire permet de faire adopter une décision, y compris celle d'annuler une décision du conseil, de modifier la législation existante et même les statuts. Les membres ont la faculté de faire toutes les propositions ou les commentaires qu'ils souhaitent sur un des tableaux de la maison communautaire Rock Bottom. Chaque secteur d'activité domestique, agricole ou industriel est supervisé par un manager ou directeur élu à la majorité simple pour un an. Un manager a la possibilité d'établir des règles dans son secteur si sa proposition est approuvée par 10 % des membres. Tous les actes de gouvernance sont consultables.

L'économie de East Wind est à l'origine dépendante de celle de Twin Oaks qui lui cède en 1974 une partie de la fabrication des hamacs en corde synthétique recyclée commandés par la multinationale Pier 1 Imports. Commencée sous une tente, cette industrie nécessite la construction d'un bâtiment de 325 m². En 1976, les East Winders ont l'idée de réutiliser les chutes des cordes de hamac pour en faire des sandales résistantes à l'eau, les Utopian Rope Sandals, produites encore aujourd'hui. En 1981, East Wind débute une nouvelle activité dans un bâtiment spécial, la « Nuthouse ». La production de beurre naturel de cacahuètes, d'amandes, de noix de cajou ou de sésame procure à la communauté ses bénéfices les plus importants (500 000 $ de chiffre d'affaires en 2005) et lui permet d'élever son niveau de vie. L'agriculture et l'élevage biologiques ne permettent pas encore à la communauté d'atteindre l'autosuffisance. Le potager et le verger subviennent aux besoins mais l'élevage de poules, de cochons, de vaches et de chèvres et depuis 2011 la laiterie, sont encore insuffisants. Ses fournisseurs extérieurs en produits animaux sont de petits producteurs locaux partisans d'un élevage naturel.

L'organisation du travail agricole, industriel ou domestique d'East Wind est comparable à celle de Twin Oaks. Les coopérateurs doivent 35 heures de travail par semaine (27 les semaines de fête) en échange de la nourriture, de logement, des vêtements, de l'éducation, des transports et des soins médicaux prodigués par la communauté. Ils passent obligatoirement deux heures par semaine à la vaisselle ou à la cuisine et de trois à huit heures par semaine à la fabrication du beurre. Pour le reste, ils sont libres de travailler dans l'activité domestique, agricole ou industrielle de leur choix. Les East Winders ont adopté le système de crédits de travail mis en place à Twin Oaks d'après Skinner. Ils remplissent une feuille hebdomadaire d'heures travaillées sur laquelle figure l'ensemble des activités « créditables » : les assemblées et les comités communautaires, comme la cuisine, la vaisselle ou le nettoyage de la cuisine ; l'assistance aux visiteurs (de même que dans la fiction Walden Two) comme le ménage, la lessive ou la « bibliothèque » de vêtements ; le travail de bureau ou la maintenance informatique comme l'entretien des toilettes sèches, la culture du jardin ou le travail forestier ; l'élevage (la feuille distingue les vaches, les chèvres, les poules et les cochons), comme le travail dans les ateliers, la construction, l'éducation ou le soin des enfants. Les jours de maladie sont crédités. Les membres peuvent aussi porter à leur crédit des heures de travail accomplies dans l'une des communautés sœurs participant au programme d'échange de travail (notamment Sandhill dans le Missouri et Twin Oaks et Acorn en Virginie). Les feuilles sont contrôlées par les managers élus dans chaque département. Comme à Twin Oaks, et à la différence des préconisations de Skinner ou bien avant lui des fouriéristes, le système est égalitaire : toutes les heures se valent. Les crédits horaires excédentaires peuvent être accumulés par les membres de la communauté pour être convertis en jours de vacances.

Les East Winders prennent leurs repas en commun. Ils n'ont pas d'interdit alimentaire. L'alcool et le tabac ne sont pas prohibés. Ils brassent leur bière à certaines occasions. La communauté n'est pas anti-technologique : elle est équipée d'un réseau d'ordinateurs et les résidents regardent la télévision par satellite. Elle dispose d'une bibliothèque et d'une collection de disques. La musique, le théâtre et les activités de plein air, comme la spéléologie, les randonnées, la pêche ou le canoë, sont les distractions favorites de ses membres. La communauté entretient une sorte de dévotion à la nature. Le 1er mai, East Wind célèbre la journée de la Terre.

Témoignages

Kathleen Kinkade, parmi les fondateurs de Twin Oaks en 1967, désapprouve la volonté de la communauté de restreindre les admissions pour élever son niveau de vie ; elle quitte Twin Oaks en 1973 pour fonder East Wind :

« Je suis partie de Twin Oaks, avec deux membres et quelques visiteurs, et nous avons résolu de former une nouvelle communauté qui serait exactement comme Twin Oaks sauf sur un point : nous ne fermerions jamais notre porte ! [...]
Ce fut pendant mes cinq années à East Wind que j'ai perdu ma ferveur, perdu ma foi en fait. J'avais créé une autre communauté viable, mais ce n'était pas ce que j'espérais. La foule de gens qui attendaient à la porte de Twin Oaks, ne sont pas venus à East Wind. Ils ne voulaient pas être des pionniers, ils voulaient se joindre à une communauté déjà stable. Twin Oaks mit leurs noms sur une liste d'attente. S'ils attendaient une année ou à peu près, ils auraient la possibilité d'y entrer. La plupart trouvèrent autre chose à faire. Au bout de quelques années, cette foule a diminué puis elle a disparu. La liste d'attente de Twin Oaks s'est réduite à peu de chose [...]
J'étais déconcertée. Où était passé l'intérêt des gens pour les communautés ? J'allais régulièrement dans des universités pour donner des conférences ou participer à des séminaires sur les communautés : les invitations se sont faites plus rares et puis ont cessé. Sur la fin de cette période, je voyais que l'assistance était de plus en plus critique et même hostile. L'enthousiasme ardent était passé.
Les médias annonçaient que les années soixante étaient finies, que leur culture était discréditée et que le futur était à la "Génération Moi". Je n'avais jamais cru aux phénomènes de masse tels que les médias les présentaient, mais cette fois j'étais bien forcée de prendre celui-ci en considération.
East Wind avait beaucoup de mal à trouver les gens qu'il lui fallait. Pour s'efforcer de survivre, elle devait accepter beaucoup de gens aux qualités incertaines, des gens dont le nombre augmentait ; les membres plus idéalistes et productifs finirent par trouver la communauté désagréable et furent nombreux à partir [...]
Ma désillusion est venue en partie de ce que j'ai pu observer les pires aspects du communisme en action. Certains de mes amis étaient capables de voir des vices patents implantés dans le système et de faire comme s'il s'agissait de défauts temporaires. Moi, j'en étais incapable. Je voyais une part de plus importante de la communauté assise sur les marches de l'escalier d'entrée de la salle à manger àfumer des cigarettes ou boire leur café du matin à 11 heures, et je les entendais se moquer des « acros du travail », ceux qui faisaient rentrer l'argent et maintenaient à flot l'organisation. Il semblait possible et même vraisemblable que cette communauté prometteuse allait être sapée et détruite par sa propre population. Notre communisme ne fonctionnait pas. C'était une exploitation flagrante, mais renversée. Le prolétariat exploitait les directeurs.
Je vis cela comme la fin de tout. Le groupe s'effondrerait si cette situation perdurait, mais je ne voyais pas d'issue évidente pour remettre les choses en bon ordre. J'ai aperçu une connexion directe entre le système communal et la pauvreté ou l'indolence. C'était exactement le genre de résultats que les sceptiques avaient prédit depuis l'origine. Si cette connexion que je ressentais s'avérait réelle, alors le foutoir qu'était devenu East Wind était de mon fait. J'avais supprimé l'incitation des gains individuels dans le travail, et voilà, les gens choisirent de ne pas travailler. »

(Kinkade (Kat), Is It Utopia Yet? An Insider's View of Twin Oaks Community in Its 26th Year, 1994, p. 87-89 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


SANDALES D’UTOPIE

Paire de sandales « Utopian Rope Sandals »
Corde en polypropylène recyclé · États-Unis, East Wind Community, 2013


Les sandales ont parfois fait scandale. Vers 1900, chez les anarchistes anglais de Norton Colony ou les disciples de la Lebensreform de Himmelhof à Vienne, elles sont une protestation contre la vie bourgeoise.
À East Wind, les sandales sont aussi une affaire de subsistance. En fondant les communautés de East Wind et de Acorn, Kathleen Kinkade et les membres de Twin Oaks ont par solidarité économique confié à leurs rejetons une partie de leur rentable production de hamacs. Les Eastwinders ont ensuite eu l’idée de réutiliser les chutes de cordes en polypropylène recyclées pour confectionner des sandales amphibies. La communauté les commercialise sous la marque « Utopian Rope Sandals ».


L’atelier de fabrication de sandales de East Wind
© Photographie Kent Kessinger, 2011



Sources et références

Kinkade (Kat), Is It Utopia Yet? An Insider's View of Twin Oaks Community in Its 26th Year, 1994, p. 87-90.

Craig (Ronald), Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, 2009, p. 274-275.

Merson (Alan), « Tecumseh, Missouri, 65760. Not Quite Utopia », National Geographic, août 2005, [En ligne], URL : http://ngm.nationalgeographic.com/ngm/0508/feature7/index.html, consulté en décembre 2011.

Site Internet de East Wind, [En ligne], URL : http://www.eastwind.org/index.php, consulté en décembre 2011.

Communities Directory, [En ligne], URL : http://directory.ic.org/368/East_Wind_Community, consulté en décembre 2010.

Blog de Christophe Cousin, [En ligne], URL : http://sos-crise.over-blog.com/ext/http://www.christophe-cousin.com/twin-oaks-virginie, consulté en décembre 2010.

Site Internet de la Federation of Egalitarian Communities, [En ligne], URL : http://thefec.org/EastWind.