The Christian Commonwealth

Évangile social.
Le Christian Commonwealth, essai pratique de conciliation de Marx et Jésus, a commencé en 1896 dans une ancienne plantation de coton de Géorgie.

Plantation de coton en Géorgie · photographie T. W. Ingersoll, vers 1898 · Library of Congress, Washington D.C.

Parmi les réactions communautaires aux maux de la société capitaliste américaine de la fin du XIXe siècle, il faut compter celle des socialistes chrétiens. Ceux-ci font une interprétation originale du message religieux. Il ne peut y avoir pour eux de rédemption individuelle sans rédemption sociale. La croix du Christ est pour eux le symbole de la souffrance que demande toute transformation sociale et ils considèrent que l'abandon de la propriété privée est le moyen de cette transformation. Influencé aussi bien par la lecture de Henry George, de Bellamy et de Tolstoï que par les conséquences sociales de la crise financière de 1893, le pasteur Ralph Albertson se fait le chef de file de ceux qui veulent concilier en pratique Marx et Jésus dans une communauté non confessionnelle. Autour d'Albertson se forme un petit groupe décidé à passer à l'acte.

En novembre 1896, ils font l'acquisition d'une plantation de coton abandonnée, d'une superficie de 400 hectares, située à l'est de Columbus en Géorgie. En janvier 1897, la communauté est légalement fondée sous le nom de The Christian Commonwealth Colony. Une trentaine de colons se sont installés sur la plantation en réutilisant la maison de maître et même les cabanes des esclaves dont certains vivent encore sur place. Ces socialistes chrétiens viennent d'Ohio, de Floride, du Nebraska, de Washington, du Massachusetts et de Californie. The Christian Commonwealth est ouvert à tous sans participation financière ni conditions idéologiques ou spirituelles particulière : « L'adhésion dans ce corps, dit la constitution, sera ouverte à tous et elle ne sera jamais refusée à qui que ce soit venant à nous avec un esprit d'amour, d'altruisme et de vraie amitié » (Eliott et Dean 2007, p. 2). La colonie affirme sa différence avec les sectes chrétiennes et montre à ses critiques qu'elle ne fait pas sécession avec le reste de la société. Malgré cette politique d'ouverture, un haut niveau d'éducation caractérise son recrutement : on trouve des professeurs, des ministres du culte, des docteurs, un ingénieur, des imprimeurs, un photographe. L'objectif est d'établir une société sans classes, mais sans lutte ni révolution violente à la différence de la conception marxiste.

La communauté repose sur l'absence de la propriété privée à la seule exception des effets personnels par le moyen desquels s'exprime la personnalité de chacun. Le salariat est aboli ; la colonie pourvoit à la nourriture, à l'habillement ou au logement. L'organisation du travail est collective. Chaque jour, les chefs des départements font la répartition des tâches. En février 1898, Ralph Anderson lance avec succès le Social Gospel, un mensuel de 36 pages qui séduit 2 000 abonnés et s'impose comme le journal du socialisme chrétien. Le premier numéro du journal dresse un bilan d'activité de la colonie. Les membres ont construit deux maisons familiales, un grand dortoir pour célibataires, une école, une imprimerie, une étable, une scierie, un atelier de forgeron et un moulin à farine. Le réfectoire a été aménagé dans l'ancienne maison de planteur. Ils ont défriché 80 hectares de cultures et clôturé 120 hectares de pâturages. Ils ont planté un verger de 35 hectares et font pousser de l'avoine et du seigle, un peu de blé et d'orge, du maïs, des pommes de terre douces et des légumes. Le cheptel n'est pas très important : quelques vaches, chevaux, cochons et des volailles.

Au cours de sa première année d'existence, The Christian Commonwealth respecte ses principes fondateurs. L'unité familiale est respectée mais les repas sont pris en commun et la lessive est confiée à la buanderie communale. Un service religieux a lieu le dimanche, mais des confessions diverses sont représentées dans la communauté. Une école ouverte aux enfants de l'extérieur fonctionne dès les commencements sous la direction des membres les plus éduqués de la colonie et bénéficie de la reconnaissance des autorités locales. À l'enseignement traditionnel s'ajoute un cours sur les principes de la vie communautaire. Il existe aussi des cours pour adultes de littérature, de philosophie ou de sciences et la colonie possède une bibliothèque riche de 1 400 volumes. Les décisions sont démocratiques. Ralph Albertson a refusé d'être élu président ; la colonie n'a pas de leader. Elle ne se présente pas comme une expérience communautaire unique mais comme un mouvement : elle projette ainsi la création d'une nouvelle colonie en Floride.

La publication du Social Gospel fait venir de nouveaux membres de tout le pays. La population de la colonie atteint 100 personnes à la fin de 1898. The Christian Commonwealth cherche alors à développer sa production au-delà de son économie de subsistance. Avec l'aide financière de ses sympathisants, la communauté ouvre au début de 1899 une filature de coton pour la fabrication de serviettes destinées à être commercialisées. Elle semble poursuivre activement son installation : de nouvelles maisons individuelles sont édifiées ; les premières sont agrandies ou embellies ; la construction d'un grand réfectoire est entreprise ; elle acquiert plusieurs machines à vapeur (pour la filature, la scierie, la buanderie, la cuisine, la sucrerie, l'imprimerie).

L'été 1899 est pourtant fatal à la communauté. Les récoltes sont détruites par un hiver rigoureux, l'ancienne plantation de coton se révèle infertile. Au mois d'août, la colonie est frappée par une épidémie de fièvre typhoïde qui épuise physiquement et moralement ses membres et fait une dizaine de victimes. De surcroît, The Christian Commonwealth est dénoncé (sans fondement) comme une colonie de l'amour libre par un ancien membre qui souhaite la discréditer dans un Sud conservateur. S'ensuit un débat au sein de la communauté sur la nécessité de s'en remettre aux tribunaux et d'exclure les membres indésirables. La colonie comprend qu'elle n'est pas seulement victime d'une direction médiocre mais aussi de sa politique d'ouverture. À la fin de 1899, les désertions sont nombreuses. Le Social Gospel est transféré à New York. En mars 1900, il ne reste que 30 personnes. Le groupe tente de sauver la colonie en projetant de s'unir à la communauté de Ruskin dans le Tennessee. Mais les différences idéologiques sont trop importantes. Finalement, ils doivent dissoudre la colonie et vendre ses biens en décembre 1900. Chacun des membres, y compris ceux partis depuis plusieurs mois, reçoit 8,50 $. L'égalité est sauve.

Sur le site du Christian Commonwealth subsiste aujourd'hui la maison de planteur, largement réaménagée. Une partie des installations de la colonie a été reconnue par une mission archéologique en 2009.

Témoignages

Les fondateurs du Christian Commonwealth connaissent l'œuvre de Léon Tolstoï et le grand écrivain russe connaît l'existence de la colonie à travers le Social Gospel. En mars 1898, Tolstoï, âgé de 70 ans, écrit de Moscou à George Gibson, qui vient de lui adresser le premier numéro du journal :

« Mon cher ami,
J'ai bien reçu votre lettre et le magazine, les deux m'ont fait grand plaisir. Le premier numéro est très bien et j'ai aimé les articles qu'il contient. C'est tout à fait vrai, comme vous le dites dans votre article « Le besoin social » [...] qu'une vie chrétienne est tout à fait impossible dans l'actuelle organisation non-chrétienne de la société. Les contradictions entre son entourage et ses convictions sont très pénibles pour un homme d'une foi chrétienne sincère, et en conséquence l'organisation de communautés semble à un tel homme le seul moyen de se délivrer lui-même de ses contradictions. Mais c'est une illusion. Chaque communauté est une petite île au milieu de l'océan des conditions non-chrétiennes d'existence et ainsi les relations chrétiennes existent uniquement entre les membres de la colonie, mais à l'extérieur elles restent non-chrétiennes, autrement la colonie n'existerait pas longtemps. Et donc, vivre dans une communauté ne peut sauver un chrétien de la contradiction entre sa conscience et sa vie. Je ne veux pas dire que je n'approuve pas les communautés comme votre Commonwealth, ou que je ne pense pas qu'elles soient une bonne chose. Au contraire, je les approuve de tout mon cœur, je suis très intéressé par votre Commonwealth et je vous souhaite le plus grand succès. Je pense que chaque homme qui peut se libérer des conditions de la vie mondaine sans briser les liens de l'amour – l'amour, le premier principe au nom duquel il recherche de nouvelles formes de vie –, je pense qu'un tel homme se joint non seulement par devoir mais aussi par nature aux gens qui partagent les mêmes croyances et qui tentent de vivre selon elles. Si j'étais libre, je rejoindrais immédiatement une telle colonie, même à mon âge. Je veux simplement dire que la seule création de communautés n'est pas une solution pour la question chrétienne, mais seulement l'un des moyens de sa solution. La révolution en cours pour la réalisation de l'idéal chrétien est tellement prodigieuse, notre vie est si différente de ce qu'elle devrait être, que pour le plein succès de cette révolution, pour l'accord de la conscience et de la vie, nous avons besoin du travail de tous les hommes – ceux qui vivent en communauté comme ceux qui vivent dans le monde dans les conditions les plus diverses. Cet idéal n'est pas réalisable aussi rapidement et aussi facilement que nous le pensons et le souhaitons. Il sera atteint seulement quand chaque homme dans le monde entier dira : — Pourquoi devrais-je vous vendre mes services et acheter les vôtres ? Si les miens sont plus grands que les vôtres, je vous les dois, parce que s'il y a dans le monde entier un seul homme qui ne pense pas et n'agit pas selon ce principe, qui prendra et gardera par la violence ce qu'il peut prendre aux autres, alors aucun homme ne peut vivre une véritable vie chrétienne, aussi bien dans une communauté qu'à l'extérieur de celle-ci. Nous ne pouvons pas être sauvés séparément, nous devons être sauvés tous ensemble [...]. »

(Léon Tolstoï, lettre à George Gibson, Moscou, 11 mars 1898, cité dans Elliot et Dean 2007, p. 27-29 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Oved (Yaacov), Two Hundred Years in American Communes, 1993, p. 275-283.

Elliott (Daniel T.) et Dean (Tracy M.), « Commonwealth, Georgia », Lamar Institute publication series, rapport n° 90, Savannah, Georgia, 2007, [En ligne], URL : shapiro.anthro.uga.edu/Lamar/images/PDFs/publication_90.pdf, consulté en août 2011.



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