Sodus Bay Phalanx

Travailler le dimanche ?
Les socialistes de Rochester achètent en 1844 un domaine aménagé par les Shakers au bord du lac Ontario. La question religieuse est justement leur pomme de discorde.

Une grange de Sodus Bay Phalanx construite par les shakers · photographie Donald E. Janzen, 1978 · Donald Janzen Collection, David L. Rice Library · © University of Southern Indiana

L'ouest de l'État de New York semble extrêmement réceptif à la propagande fouriériste. Une convention est organisée avec succès à Rochester en août 1843. Du projet avorté d'une Ontario Phalanx naissent plusieurs communautés : Clarkson Industrial Association, Sodus Bay Phalanx, Ontario Union, Bloomfield Union Association et Mixville Association. En mai 1844, les phalanges se fédèrent dans l'Union industrielle qui élabore une plateforme commune. L'union préconise les échanges économiques entre les associations, recommande de commencer l'organisation fouriériste par la division du travail en branches (agriculture, artisanat et travail domestiques) et en classes (nécessité, utilité, attrait) ou encore fait des recommandations pour la constitution des groupes et séries de travail.

Les premiers membres de Sodus Bay Phalanx s'établissent au début de l’année 1844 sur les rives du lac Ontario, à proximité de la Clarkson Industrial Association. Le domaine qu'ils acquièrent pour 35 000 $, a été occupé pendant douze ans par une communauté de shakers (aujourd'hui Alasa Farm). Le site avait eu quelques mois plus tôt la faveur des membres de l'Ontario Phalanx. D'une étendue de 560 hectares, il est en bon état et bien équipé : il comprend une scierie, un moulin à farine, une salle de réunion, des habitations pour une trentaine de familles ainsi qu’un vaste verger. De plus, le paysage de Sodus Bay est de toute beauté.

La colonie comporte 260 membres à l’été 1844, principalement des familles du nord-ouest de l'état de New York. Suivant ses statuts, la communauté prodigue gratuitement le logement et l'entretien à ses membres. Le chomage causé par la Panique de 1837 le long du canal Erié attire à Sodus Bay des travailleurs dont l'admission n'est pas suffisamment contrôlée par la direction. Les différences de motivation, de qualification, de fortune et de religion fragilisent la phalange naissante. L'insuffisance du capital, les dépenses consacrées au logement, l'absence de revenus pour payer les fortes traites du domaine mettent dès le départ Sodus Bay Phalanx dans une position économique délicate. Le surpeuplement et les mauvaises conditions sanitaires – on rencense à un moment une cinquantaine de malades – achèvent ce triste tableau.

Deux partis antagonistes vont se former : les protestants évangéliques d'un côté et les libéraux de l'autre. Ils s'opposent sur le repos du dimanche et l'éducation des enfants. Le système fouriériste ne parvient pas ici à accorder les passions contraires. Les évangéliques décident de quitter Sodus Bay, laissant la phalange au groupe des libéraux, le plus motivé par l'expérience fouriériste.

En septembre 1845, il ne reste qu'une quinzaine d'adultes dans la ferme. Mais il faut vendre les récoltes pour rembourser l'apport des partants et la dette de la communauté s'élève à près de 10 000 $ à payer au printemps suivant. En avril 1846, les derniers phalanstériens dissolvent l’association. L'expérience est un échec total, sur le plan économique mais également d'un point de vue social, rien de la théorie fouriériste n'ayant pu être mis en pratique. La débandade des colonies issues de la convention de Rochester a des effets très négatifs sur l'opinion. En septembre 1847, les conférenciers de Brook Farm en tournée de propagande à Rochester notent que « les chances de réunion dans cette ville sont moins bonnes que dans tous les autres endroits que nous avons visités précédemment. C'est le nid dans lequel a grandi cette horrible couvée d'oiseaux nommés "Sodus Bay Phalanx", "Clarkson Phalanx", "Bloomfield Phalanx" et "Ontario Union". Le seul mot d'association est devenu odieux pour le public » (Noyes 1870, p. 291-292).

Témoignages

PARFAIT DE L’IMPARFAIT

Dévidoir à écheveaux
Bois d'érable · États-Unis, communauté shaker, vers 1860


Dans le sublime paysage du lac Ontario, les fouriéristes pouvaient s’inspirer des shakers dont ils ont pris la succession à Sodus Bay. La communauté de la propriété, l’égalité des sexes, l’abolition du mariage, l’habitat collectif, la primauté du travail agricole, l’inventivité industrielle et domestique sont des principes de la secte protestante que partagent les disciples de Fourier. Comme les shakers, dont le génie de l’architecture, du mobilier et des outils traduit l’aspiration à la perfection matérielle et spirituelle, les phalanstériens ont la conviction qu’ils peuvent constituer des communautés parfaites ouvertes sur un monde imparfait.
À la différence des shakers cependant, les fouriéristes manquent d’unité spirituelle. L’harmonie des phalanges d’essai américaines est parfois troublée par la question religieuse, la diversité des confessions des membres ou l’opposition des pratiquants aux « libéraux » comme à Sodus Bay.


Sœur Alice Smith dans le village shaker de Hancock, Massachusetts
Photographie Samuel Kravitt, 1935 · Library of Congress, Washington D.C.



Sources et références

Grant (E. P.), Ontario Phalanx, 1843.

The Phalanx, 1844, vol. 1, p. 293-294.

Noyes (Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 286-295.

Guarneri (Carl J.), The Utopian Alternative. Fourierism in Nineteenth-Century America, 1991, p. 163-165.

Oved (Yaacov), Two Hundred Years of American Communes, 1993, p. 135-136.



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