L'abolitionniste de Skaneateles.
Les compagnons de l’anti-esclavagiste John Collins l’ont surnommé en 1843 Monsieur « ni Dieu, ni gouvernement, ni monnaie, ni viande, ni sel, ni poivre ».
Le projet d'une communauté fouriériste à Skaneateles est conçu dans les milieux réformateurs de Syracuse, dans l'État de New York. John Collins en est la figure centrale. Diplômé de théologie, Collins travaille depuis plusieurs années dans le Massachusetts pour la société anti-esclavagiste de William Lloyd Garrisson, partisan de la résistance passive aux institutions liberticides. Collins voyage en 1840 en Angleterre afin de lever des fonds pour la cause abolitionniste. Il y assiste à des conférences chartistes, fait la connaissance de Robert Owen et lit la littérature socialiste française et anglaise. À son retour aux États-Unis, il se tourne vers l'expérimentation communautaire dans laquelle il voit une solution sociale à la misère.
En 1843, John Collins représente à Syracuse l'American Anti-slavery Society. Il travaille tout l'été à l'organisation d'une convention abolitionniste, mais il est déjà accaparé avec d'autres réformateurs de la ville par l'idée communautaire et l'abolition de la propriété privée. La constitution d'une association est publiée en avril 1843. Au mois d'octobre suivant, il forme avec ses amis une société par action pour acquérir des terres où pourrait avoir lieu une expérience sociale sur le modèle fouriériste. Ils choisissent une ferme de 120 hectares sur le territoire de Skaneateles, à l'est de Syracuse, cédée par son propriétaire Elijah Cole pour 15 000 $. Le domaine, bien pourvu en énergie hydraulique, est proche du canal Erie et d'une ligne de chemin de fer pouvant assurer le transport des colons et l'écoulement de la production de la colonie. Les fondateurs sont en outre sensibles à la beauté du site dominant le lac Skaneateles.
À la fin de 1843, la colonie est installée et son leader John Collins promulgue ses « Articles de foi, de scepticisme et de croyance » de la communauté (Articles of Belief and Disbelief and Creed). Dans cette déclaration plus anarchiste que fouriériste, Collins proclame l'agnosticisme et le rejet des institutions gouvernementales comme le vote, l'impôt, la participation aux jurys des tribunaux ou le service militaire ; il veut instaurer la communauté de la propriété, la libéralisation des contrats de mariage et la prohibition de la viande, de l'alcool et de tout stupéfiant. Colins heurte les colons. Certains le surnomment le « Ni Dieu, ni gouvernement, ni monnaie, ni viande, ni sel ni poivre » (Fogarty 1980, p. 24).
Malgré ses réticences à l'égard des positions radicales de son fondateur, la communauté adhère au projet d'autosuffisance sociale et économique et se met au travail. Les colons développent les travaux de serrurerie, de cordonnerie, de sellerie, de scierie et de menuiserie, de maçonnerie et de peinture ; ils cultivent 170 hectares de terres, plantent un vaste verger et créent une pépinière d'arbres fruitiers. Ils aménagent la maison en pierre construite dans les années 1830 en bâtiment d'habitation collective avec chambres, salle de réunion, salle à manger et cuisine. La colonie édite un journal, The Communist. À son apogée, elle compte 150 membres. Fait rare à relever parmi les expériences communalistes, Skaneateles est prospère. La valeur du domaine a doublé en 1846. Les qualifications de ses membres, leur entente, une direction capable et des capitaux suffisants rendent possible sa réussite économique.
La dissolution de Skaneateles après trois années d'existence a sa cause dans le conflit qui oppose John Collins et Quincy Johns, un juriste de Syracuse et l'un des fondateurs de la colonie. Johns désapprouve le radicalisme de Collins et finit par quitter Skaneateles en 1845. La colonie est affaiblie. Le rejet de sa charte d'intégration à l'État de New York en novembre 1845, qui légaliserait la propriété collective du domaine, lui porte un coup fatal. Collins quitte à son tour la communauté qui disparaît. Certains de ses membres rejoignent alors Oneida.
Fogarty (Robert S.), Dictionnary of American Communalism and Utopian History, 1980, p. 24-25 et p. 165-166.
Guarneri (Carl J.), The Utopian Alternative. Fourierism in Nineteenth-Century America, 1991.
« Community Place », notice du National Register of Historic Places Inventory, [En ligne], URL : http://www.oprhp.state.ny.us/hpimaging/hp_view.asp?GroupView=6275,consulté en décembre 2011.