Désunion au Brésil.
Les voyages (même en Utopie) séparent : ce n'est pas un mais deux phalanstères que les fouriéristes lyonnais de l'Union industrielle s'apprêtent à fonder en 1841 au sud du pays.
Deux fouriéristes « réalisateurs » lyonnais fondent une Union industrielle en septembre 1840 pour faire l'essai d'un phalanstère dans le sud du Brésil. Le docteur homéopathe Benoît-Jules Mure et Michel Derrion, le pionnier en France des coopératives de consommation, connaissent tous deux des socialistes français expatriés dans cette région. Mure part en éclaireur en novembre 1840 à Rio de Janeiro. Il obtient l’appui du gouvernement impérial, favorable à une immigration porteuse de connaissances technologiques. En juillet 1841, la Chambre des députés accorde un crédit pour son installation et le 11 décembre suivant, le gouvernement signe avec Mure un contrat de cession de terres pour l’établissement d’une colonie industrielle de 500 personnes dans la province de Santa Catarina, au sud du pays. L'accord avec l'État brésilien ne fait aucune référence au caractère fouriériste de l’association.
Le 11 octobre 1841, 110 Français recrutés par Michel Derrion embarquent au Havre pour Rio de Janeiro. Sitôt après leur arrivée, des désaccords naissent sur la nature de l'entreprise. Certains se rangent derrière Derrion qui reproche au projet de Mure son excessive dépendance à l'égard du gouvernement brésilien. Le leadership du docteur est contesté. Sur le bateau qui navigue en janvier 1842 en direction de l’île de São Francisco, au large de la péninsule du Saí, le groupe se scinde. L’arbitrage du gouverneur de la province, le colonel Oliveira, est sollicité : la concession de terres et le prêt accordé par le gouvernement sont divisés. Les partisans de Mure s’installent dans la péninsule de Saí (phalanstère du Saí ou phalanstère de Oliveira). Les partisans de Derrion s'établissent non loin sur l'île de Santa Catarina (phalanstère du Palmital).
En France, l'Union industrielle forme deux comités de soutien. Deux nouveaux contingents de migrants quittent la France en septembre 1842 et en février 1843 pour rejoindre la colonie de leur choix. Celle de Derrion semble la plus prospère. Deux cents colons se rendent au phalanstère du Palmital contre une centaine au phalanstère du Saí. La colonie dirigée par le docteur périclite dès la fin de 1842.
En 1843, l’inspecteur impérial recommande l'extension de la concession du phalanstère de Palmital en mentionnant deux forges, des embarcations de bois, une scierie à vapeur, et une scierie hydraulique, des chemins et des ponts. En 1846, la colonie du Palmital existe toujours. Elle réunit les deux familles réconciliées de l'Union industrielle. Elle disparaît vraisemblablement peu après. La difficulté d'adaptation au pays, la dureté des travaux (même si les deux communautés emploient de la main d'œuvre locale) et les difficultés de production et d’écoulement de la production ont raison des fouriéristes de Santa Catarina. Sur le plan de l'organisation sociétaire, l'expérience semble peu concluante.
Le docteur Mure et Michel Derrion poursuivent l'œuvre de propagande à Rio de Janeiro. Derrion meurt dans cette ville en 1850. La plupart des colons rentrent en France. Quelques phalanstériens de l'Union s'établissent en Amérique. Certains participent à l’expérience fouriériste de Réunion au Texas en 1854.
Rama (Carlos), Utopismo socialista 1830-1893, 1977.
Güttler (António Carlos), « Un prélude brésilien à l’expérience de Réunion ? Le Phalanstère du Saí, 1841-1843 », Cahiers Charles Fourier, n° 4-1993, p. 3-12.
Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, CD-Rom, 1997.
Abramson (Pierre-Luc), « Michel Derrion », Dictionnaire biographique du fouriérisme, [En ligne], URL : http://www.charlesfourier.fr/article.php3?id_article=765, consulté le 20 janvier 2014.