Fruitlands

Les ascétiques de Fruitlands.
Le sévère régime d’abstinence auquel Amos Bronson Alcott et ses amis se soumettent en 1843 est le moyen de leur libération sociale, économique, physique, morale et spirituelle.

Amos Bronson Alcott · photographie C. A. Gandy, vers 1860 · Special Collections, Fine Arts Library, Harvard College Library

L'expérience de Fruitlands, comme celle de Brook Farm, naît dans le cercle des transcendantalistes de Boston, des intellectuels chrétiens réformateurs en rupture avec les églises de Nouvelle Angleterre. Amos Bronson Alcott est colporteur. Il n'a pas fait de longues études mais s'intéresse aux théories de l'éducation des jeunes enfants. En 1834, il fonde une école à Boston dans laquelle il introduit une pédagogie socratique et des leçons d'éducation sexuelle qui font scandale. La Temple School est défendue par les transcendantalistes, dont l'écrivain Ralph Waldo Emerson et la féministe Magaret Fuller. Après la Panique de 1837, Alcott est acculé par ses créditeurs et doit finalement fermer l'école en 1839.

Avec l'aide de l'écrivain Ralph Waldo Emerson, Alcott peut se rendre en 1842 Grande-Bretagne où une école, « Alcott House », a été organisée suivant ses idées. En partant du constat que l'état présent de la société contraint le développement des individus, les pédagogues réformateurs anglais évoluent vers une critique plus générale des institutions. Ils deviennent communistes en ce qui concerne la propriété, anarchistes pour le gouvernement, partisans de l'amour libre à l'égard du mariage et végétariens en diététique. La rencontre avec Charles Lane, l'un des réformateurs qui administrent Alcott House, fait naître chez Alcott le désir de l'expérience communautaire. En octobre 1842, il rentre avec Lane aux États-Unis.

Alcott et Lane ne souhaitent pas intégrer Brook Farm car ils jugent que les idéaux de la célèbre colonie ne sont pas suffisamment élevés et « purs ». Ils choisissent de mener leur propre expérience pour donner à l'humanité l'exemple d'une réforme fondée sur l'émancipation physique, sociale, psychologique et morale des individus. Les deux hommes prospectent aux environs de Concord, Massachusetts, où vit la famille d'Alcott, et en juin 1843 ils jettent leur dévolu sur une ferme de 36 hectares avec une vieille maison rouge. Malgré son aversion pour la propriété individuelle, Charles Lane achète Fruitlands sur ses propres deniers pour 1 800 $.

Onze adultes au total s'installent dans la ferme. Lane, son fils et la famille Alcott – Bronson, sa femme Abigail et leurs quatre filles – forment le noyau de la petite communauté. Les membres de Fruitlands expriment avec une certaine radicalité leur volonté de rupture avec la société : Abraham Everett change son nom pour Wood Abram ; Joseph Palmer arbore une longue barbe pour laquelle il s'est battu et a fait de la prison ; Samuel Bower pratique le nudisme suivant l'idée que le vêtement est oppressant.

La vie de Fruitlands est faite d'abstinence. La communauté renonce à l'usage du coton et du sucre, produits de l'exploitation des esclaves. Charles Lane prône une diète alimentaire : ni thé, ni café, ni alcool, ni riz, aucune substance animale, qu'il s'agisse de viande ou de poisson, de beurre, de fromages, de lait, d'œufs. La communauté se défend aussi d'employer tout produit issu de l'exploitation animale comme la laine, le miel, la cire ou le fumier. Les animaux comme les hommes doivent rester libres, aussi la ferme de Fruitlands ne fait pas d'élevage ou n'utilise pas les animaux pour le travail. L'idéalisme d'Alcott le pousse même à renoncer à cultiver des tubercules pour ne pas perturber les vers de terre (le nom de Fruitlands indique la préférence pour les aliments poussés en l'air). En respectant cette diète sévère, les membres de Fruitlands éliminent la nécessité des échanges avec l'extérieur et réduisent le travail nécessaire. Leur économie est de subsistance : ils ne produisent que ce qu'ils consomment. L'abstinence est une purification sociale, physique et morale, l'affirmation d'une indépendance et finalement une élévation spirituelle. Réformer la société c'est se réformer soi-même.

Les idéaux de Fruitlands se heurtent vite aux nécessités matérielles. L'âpreté du travail agricole sans l'aide d'animaux contredit l'ambition d'une vie philosophique faite de loisirs. Pour rentrer des récoltes en quantité suffisante, Alcott finit par accepter qu'une paire de bœufs soit employée dans les champs. Les membres quittent bientôt la communauté, si bien qu'en hiver 1843, Lane et les Alcott se retrouvent seuls à Fruitlands. En décembre 1843 ou en janvier 1844, Charles Lane et son fils partent chez les Shakers. Abigail Alcott refuse de les suivre car les Shakers pratiquent la séparation des sexes. Les Alcott retournent à Concord. L'une des filles Alcott, Louisa May, auteur des Quatre filles du Dr March (Little Women, 1869), a 10 ans pendant l'épisode de Fruitlands ; 30 ans plus tard, elle publie une fiction satirique sur l'expérience communautaire, Transcendental Wild Oats. La ferme de Fruitlands a été restaurée et transformée en un musée qui conserve de nombreux objets personnels de la famille Alcott.

Témoignages

SUBSISTER SANS ASSERVIR

Joug de bœuf
Bois, fer · États-Unis, Maine, XIXe siècle


Les Fruitlanders se veulent radicaux. Leur conquête d’indépendance par abstinence ne saurait être entachée d’aucune trace de servitude. Ils abandonnent la laine et le coton comme les produits de l’exploitation des animaux et de l’esclavage des hommes. Ils renoncent à l’élevage et à la consommation de substances animales comme les œufs ou le miel. Ils aimeraient se dispenser totalement d’atteler les bœufs ou les chevaux.


Paire de bœufs et bouviers
Daguerréotype anonyme, États-Unis, vers 1848 · Library of Congress, Washington D.C.



Sources et références

Morris (James L.) et Kross (Andrea L.), Historical Dictionnary of Utopianism, 2004, p. 5-6.

Gutek, (Gerald), Visiting Utopian Communities, a Guide to the Shakers, Moravians, and Others, 1998, p. 142-151.

Francis (Richard ), Transcendental Utopias: Individual and Community at Brook Farm, 2007, p. 140-16.

« Fruitlands », [En ligne], URL : http://www.alcott.net/alcott/home/fruitlands.html, consulté en décembre 2011.



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