Fairhope Industrial Association

Fairhope : colonie de l'impôt unique.
La coquette ville de Mobile Bay est l’une des deux « Single tax colony » des États-Unis. Elle est fondée en 1894 pour promouvoir le bien-être commun.

Débarcadère municipal de Fairhope sur Mobile Bay, Alabama · photographie Frank Stewart, 1910-1920 · Fairhope Public Library

En 1889, à Des Moines, Iowa, s'est formé autour d'Ernest B. Gaston, un jeune journaliste de l'organe du Populist Party The Tribune, un cercle de réflexion où l'on commente la littérature réformatrice, particulièrement Looking Backward, 2000-1887 d'Edward Bellamy (1888), Co-operative Commonwealth de Laurence Gronlund (1884) ou Progress and Poverty de Henry George (1879). Ce dernier s'est vendu à des millions d'exemplaires dans tout le pays. Gaston appartient d'ailleurs au « Single Tax Club » créé à Des Moines en 1891. De tels clubs sont apparus dans tous les États-Unis pour défendre la proposition « georgiste », toujours débattue aujourd'hui, d'un impôt unique sur la propriété du sol.
Henry George constate que les richesses créées par les avancées technologiques et sociales dans une économie de marché sont accaparées par les propriétaires terriens et monopolisées par le biais des rentes foncières. Cette concentration de richesses est selon lui la cause de la pauvreté. « Nous devons faire de la terre une propriété commune », affirme Henry George. La nationalisation du sol est une solution difficile à imaginer aux États-Unis. L'alternative est la création d'un impôt maximal sur les rentes foncières qui serait redistribué équitablement sous la forme d'institutions d'intérêt collectif ou d'un revenu minimum. Un tel impôt ne pénalise pas la production et sa recette compense celle les autres impôts sur le travail ou le capital qui entravent le développement économique et celui du bien-être commun.

Pour Ernest B. Gaston et ses camarades de Des Moines, l'impôt unique au service d'une organisation coopérative – l'individualisme coopératif – apparaît comme la solution sociale. La panique financière de 1893 les précipite dans l'action. Dans The True Co-operative Individualism, Gaston établit le programme d'une colonie de l'impôt unique, prospère à la différence de Kaweah, et véritablement démocratique : « une colonie gouvernée par les personnes et non par la propriété ». Jugeant que leur démonstration pratique a de bonnes chances (a fair hope) de succès, les partisans de l'expérimentation, fondent en février 1894 la Fairhope Industrial Association (rebaptisée Fairhope Single Tax Corporation en 1904). L'objectif de l'association est d'établir « une communauté ou une colonie modèle, libre de toute forme de monopole privé », pour « garantir à ses membres l'égalité des chances, la pleine récompense de leurs efforts individuels et la coopération dans les sujets d'intérêt général ». L'apport initial des membres est fixé à 200 puis 175 $. Ils élisent un comité de prospection. Le 1er septembre 1893, le journal fondé par l'association, The Fairhope Courrier, annonce que Mobile Bay en Alabama (les terres du sud sont bon marché) a été choisie par la majorité des membres pour accueillir Fairhope.

En novembre 1894, un groupe de pionniers conduit par Gaston se rend sur place. Ils acquièrent 53 hectares dans une partie très sauvage de la baie. Pour financer l'installation de Fairhope, Gaston lance une souscription pour la construction d'un quai portuaire qui apporte des revenus substantiels à la colonie après son achèvement en 1898. Fairhope reçoit des contributions des single-taxers de tous les États-Unis, notamment du millionnaire Joseph Fels, fabricant de savon à Philadelphie (et soutien de Mayland en Angleterre). En 1907, elle possède 1 600 hectares et de nombreux équipements. Elle met les terres à disposition des individus membres de l'association par des baux de 99 ans contre le versement de l'impôt unique annuel basé sur la valeur du terrain au moment de son acquisition par la colonie. L'association laisse les colons libres de construire leur logement, trouver du travail, développer leurs affaires. Fairhope édifie des magasins coopératifs, une boulangerie, trois hôtels, un marché à viande, des moulins, une briqueterie et une imprimerie. Ces activités ne sont pas des monopoles et peuvent être concurrencées par l'initative individuelle. L'association crée les réseaux d'eau, d'électricité et de téléphone, aménage parcs et routes, s'équipe d'un bateau à vapeur pour les transports à travers la baie. Elle ouvre une bibliothèque où officiera pendant plus de vingt ans Marie Howland, l'amie américaine du fondateur du Familistère, qui s'était déjà engagée à Topolobampo.
L'association soutient l'école « organique » ouverte en 1907 par la pédagogue Marietta Johnson. Cette école modèle conçue pour le plein épanouissement physique et intellectuel des enfants à partir de 4 ans, sans concurrence ni examen, attire à Fairhope des artistes, des intellectuels, des éducateurs venus y inscrire leurs enfants ou suivre les formations pédagogiques dispensées par Marietta Johnson.

Fairhope est une communauté démocratique progressiste : le conseil exécutif est élu par l'ensemble des femmes et des hommes de plus de 18 ans membres de l'association. Il est constitué d'un président, d'un secrétaire, d'un trésorier, de trois administrateurs et de six superintendants pour les terres, les routes, les services publics, les services commerciaux, l'industrie et la santé. La démocratie de Fairhope est participative : les électeurs disposent des droits de référendum, d'initiative législative populaire et de « rappel » des élus. La vie sociale est active. De nombreux clubs se forment, les fêtes, les bals, les concerts se succèdent.

On recense 500 habitants en 1905. Bien que le droit d'entrée dans l'association ait été réduit à 100 $, tous ne sont pas membres de l'association (des socialistes de la colonie de Ruskin, Tennessee, sont dans ce cas) et Gaston a accepté de leur céder des terres pour accroître la population. Une imprudence qui introduit des différences au sein de la colonie. Autre contradiction dans cette colonie sudiste de l'égalité des chances et pour le défenseur des droits civiques qu'est Gaston : les Noirs ne peuvent pas devenir membres de l'association. Fairhope pratiquera la ségrégation raciale.

Les principales difficultés viennent des locataires de terres qui s'acquittent de l'impôt mais ne participent pas aux décisions faute d'être membres de l'association. En 1908, l'État d'Alabama intègre les possessions dispersées de la colonie dans une nouvelle commune de 4 500 hectares, sur lesquels vivent 569 personnes (466 Blancs et 103 Noirs). Les opposants à la colonie s'installent à la tête de la municipalité. Peu à peu, les services publics de la colonie passent sous le contrôle de la ville. Fairhope compte 1 500 habitants en 1930, 1 835 en 1940.
La Grande dépression et l'impossibilité pour beaucoup d'associés de s'acquitter du versement de l'impôt font chavirer le principe fondateur de la communauté modèle coopérative et individualiste. Après la mort de Gaston en 1937, l'esprit coopératif et la démocratie de Fairhope s'essoufflent. Aujourd'hui, la Fairhope Single Tax Corporation reste propriétaire de 1 800 hectares (20 % du territoire communal) qu'elle administre en percevant un impôt unique désormais ajusté à ses coûts de fonctionnement et une taxe de « démonstration » pour des projets de promotion de la théorie de Henry George. L'association est ouverte aux adultes qui ont suivi un cours sur la théorie de l'impôt unique et qui ont versé leur droit d'entrée de 100 $.

Témoignages

 


Sources et références

Morris (James L.) et Kross (Andrea L.), Historical Dictionnary of Utopianism, 2004, p. 97-98.

Sutton (Robert P.), Communal Utopias and the American Experience. Secular communities, 1824 - 2000, 2004, p. 97-104.

Gaston (Paul M.), Coming of Age in Utopia. The Odyssey of an Idea, 2009.

Site Internet de la Fairhope Single Tax Corporation, URL : http://www.fairhopesingletax.com, consulté en juillet 2011.



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