Mount Lebanon

BANCS D'UTOPIE / WE SIT TOGETHER / FRANCIS CAPE 

Fondé en 1785, le village de Mount Lebanon, dans l'État de New York, devient la Rome des shakers.

Mount Lebanon : bâtiments de la famille du Nord · photographie N. E. Baldwin, 1939 · Historical American Buildings Survey · Library of Congress, Washington D.C.

La communauté de la « Société unie des croyants en la seconde apparition du Christ » (United Society of Believers in Christ’s Second Appearing), comme s’appellent eux-mêmes les shakers, est née en 1747 de la dissidence d’un groupe de quakers. Ses membres considéraient les femmes comme leurs guides. Ann Lee s’imposa rapidement à la tête de la communauté et commença à prêcher que le mariage et les relations sexuelles étaient condamnables ; elle demanda à ses disciples de confesser leurs fautes, de renoncer à tous leurs biens matériels et d’adopter le célibat. Les shakers étaient rejetés en Angleterre parce que leurs cérémonies étaient très bruyantes et que leurs croyances paraissaient étranges. Ann Lee fut emprisonnée à plusieurs reprises. Beaucoup de shakers crurent, lorsqu’elle sortit de prison en 1770, que le Christ s’était réincarné sous ses traits. En 1774, Ann Lee et huit fidèles émigrèrent à New York pour finalement s’installer sur la propriété de l’un des shakers. Au cours du siècle suivant, ils édifièrent une vingtaine de colonies qui attirèrent plus de 20 000 convertis.
Après la mort d'Ann Lee en 1784, la direction de l'église shaker revient à James Wittaker, l'un de ses plus proches compagnons depuis la naissance du mouvement à Manchester en Angleterre. Le ministère de Wittaker ouvre une nouvelle ère dans l'histoire des shakers. Il fonde en 1785 une nouvelle communauté, Mount Lebanon, destinée à être le centre spirituel des shakers et un modèle pour les autres communautés du mouvement. Le successeur de James Wittaker, Joseph Meachum développa Mount Lebanon en définissant un plan et des modèles architecturaux de référence pour les autres communautés. L'esthétique de la production artisanale et architecturale des shakers s'est aussi définie à Mount Lebanon. Le temple construit en 1824, par exemple, avec sa couverture et ses cinq portes d'entrée, satisfait des exigences propres à la religion shaker. Mount Lebanon a compté 600 membres et s'étendait sur une superficie de 6 000 acres. La communauté créa un ensemble remarquable d'activités commerciales agricoles et industrielles parmi lesquelles la production de semences et la fabrication de chaises ont été particulièrement prolofiques. Les shakers de Mount Lebanon édifièrent des centaines de bâtiments pour abriter ces activités. Dans les années 1930, les communautés de shakers ont décliné rapidement. Le dernier membre de Mount Lebanon mourut en 1947. Dans les années qui suivirent, le village fut vendu à plusieurs propriétaires. Aujourd'hui, une partie des anciens édifices de la famille du Centre abritent le musée shaker de Mount Lebanon.
La réputation des shakers tient à la simplicité de leur vie et de leurs productions, au célibat et au fait qu’ils ont mis en pratique l’égalité des sexes avec précocité. Mère Ann Lee enseignait : « Mettez vos mains au travail et vos cœurs en Dieu ».
Un village shaker était divisé en groupes ou « familles », chacune d’elles occupant une grande maison. Chaque famille était conçue pour être autonome, avec sa propre ferme et ses entreprises. Le groupe dominant dans chaque village était la famille de l’Église (Church Family). Chaque village était administré par une équipe de deux hommes et deux femmes, les anciens et les anciennes. Hommes et femmes vivaient ensemble en frères et sœurs. Les maisons étaient disposées pour respecter la division des sexes ; hommes et femmes empruntaient des escaliers et des portes séparés. Les frères et les sœurs s’asseyaient sur des côtés opposés de la salle pour célébrer le culte, prendre leurs repas et tenir leurs « assemblées d’union » (union meetings). La même séparation existait dans les lieux de travail.
Les shakers vivaient selon une forme de communisme religieux. Des engagements écrits furent rédigés en 1790 : ceux qui les signaient devaient confesser leurs péchés, consacrer leurs biens et leur travail à la société, et conserver le célibat. S’ils étaient mariés avant de venir, le mariage prenait fin à leur arrivée. Les shakers ne procréaient pas, mais des enfants se joignirent à eux par contrat mutuel, adoption ou conversion. À l’âge de 21 ans, ils étaient libres de quitter la communauté ou d’y rester. Beaucoup partirent parce qu’ils ne voulaient pas rester célibataires.
La religion des shakers accordait une importance égale aux hommes et aux femmes. Leur Église était hiérarchisée et ils partageaient l’autorité à chaque niveau de responsabilité. Les shakers considéraient que Dieu était à la fois masculin et féminin. Leur culte se célébrait dans des temples blancs dépourvus d’ornement : ils marchaient, chantaient, dansaient, et parfois tournaient sur eux-mêmes, tressautaient, s’animaient de secousses ou criaient.
Les shakers se vouaient à un travail dur dans une quête de perfection et ils créèrent dans cet esprit un style unique d’architecture, de mobilier et d’artisanat. Ils croyaient que faire bien quelque chose était en soi un acte de prière. « Faites votre travail comme si vous deviez mourir demain, même si vous aviez mille ans à vivre. » Leur industrie et leur recherche d’efficacité a donné lieu à beaucoup d’inventions, parmi lesquelles la scie circulaire, si utile à ceux qui travaillent le bois. Ils ont aussi écrit de la musique pour les chants et les danses qu’ils exécutaient pendant les cérémonies du culte.
Vers 1925, la plupart des villages de shakers avaient cessé d’exister. Une des raisons du déclin était que les biens qu’ils fabriquaient à la main ne pouvaient pas rivaliser sur le plan économique avec une production de masse. Une autre raison était que les gens étaient attirés par la ville, loin des fermes et loin du célibat aussi. Certains sites des shakers sont aujourd’hui des musées. Il subsiste une seule communauté active à Sabbathday Lake dans le Maine, qui compte trois membres en 2016.

Témoignages

Sources et références

Cape (Francis), Bancs d'utopie. We sit together, Guise, Le Familistère de Guise, 2016.
"Mount Lebanon", Shaker Historic Trail. A National Register of Historic Places Travel Itinary, site internet du National Park Service, [En ligne :] http://www.nps.gov/nr/travel/shaker/mou.htm, consulté le 18 mars 2016.



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