Clermont Phalanx

Clermont Phalanx : la croisière s’achève en naufrage.
Le 8 mai 1844, une joyeuse compagnie de fouriéristes embarquait à Cincinnati. Un phalanstère s’élèverait bientôt au bord de l’Ohio à quelques heures de navigation en amont. L’allégresse des commencements s’est vite dissipée.

Cincinnati, Ohio · lithographie, vers 1850 · Yale Collection of Western Americana, Beinecke Rare Book and Manuscript Library

L'expérience de Clermont Phalanx débute en fanfare. Au matin du 9 mai 1844, 130 fouriéristes enthousiastes embarquent à Cincinnati pour prendre possession de leur domaine. Le mouvement phalanstérien américain est alors entraîné par un optimisme immodéré. Les choses sont allées très vite. En février 1844, l'association fouriériste de Cincinnati décide de fonder un phalanstère et désigne un comité d'organisation. En mars, elle adopte une constitution et lance une souscription. Un domaine de 360 hectares est acquis pour 20 000 $ sur les rives de l'Ohio à 50 kilomètres en amont.

Ce 9 mai 1844, le temps est clément. À deux heures, la phalange accoste. La compagnie descend à terre en procession derrière les musiciens. On prononce des discours, on entonne des prières et on donne un concert. Une douzaine de pionniers, ouvriers et artisans, se mettent aussitôt à l'ouvrage. Quelques arbres sont abattus et une tente est dressée au milieu des bois. Le reste de la troupe reprend le bateau en fin d'après-midi.

Clermont Phalanx comprend bientôt 120 personnes logées sans confort dans une habitation aménagée comme le pont d'un bateau à vapeur, avec de petites cabines de part et d'autre d'un couloir. La dure vie de pionnier et les difficultés financières douchent rapidement l'enthousiasme. Au printemps 1845, le journal du mouvement fouriériste The Phalanx annonce que la colonie va disparaître. Les colons démentent en faisant savoir qu’ils achèvent la construction d'un grand bâtiment en brique de deux étages avec des équipements communautaires : une salle à manger, une cuisine, une laverie, une boulangerie... En réalité, la situation de Clermont Phalanx est mauvaise. Seuls 6 000 des 17 000 $ souscrits au départ ont été effectivement versés. La diversité des conditions et des croyances religieuses et aussi les jalousies provoquées par le petit nombre de femmes participent à l'échec de Clermont Phalanx, dissoute en novembre 1846. La plupart des fouriéristes retournent à Cincinnati mais certains restent sur place et se joignent à Utopia, le village équitable fondé par l'anarchiste Josiah Warren, passant sans difficulté d'un socialisme à l'autre.

Témoignages

L’Écossais A. J. MacDonald, émigré aux États-Unis en 1842, mène une enquête sur les communautés américaines. Il est à bord du bateau à vapeur sur lequel les fouriéristes de Cincinnati ont embarqué le 9 mai 1844 :

« Nous étions environ 130. Le temps était beau mais frais, et le paysage de la rivière dans son habit de printemps était splendide. Les différents groupes avaient apporté des provisions avec eux, et vers midi, l'ensemble a été rassemblé et installé sur la table par les serveurs pour que chacun ait une part égale. Mais adieu l'égalité ! Quand le repas a été prêt, on s'est précipité dans la cabine et en un moment, toutes les places étaient prises. Quelques instants après, toutes les provisions avaient disparu et ceux qui n'avaient pas participé à la première ruée, sont repartis affamés. J'ai sauté un repas ce jour-là, mais j'ai eu l'occasion d'observer et de critiquer la férocité de l'appétit fouriériste.
Le domaine était atteint aux environs de deux heures et nous sommes descendus à terre en procession derrière la musique qui ouvrait le chemin [...]. Il y avait là tout ce qu'on pouvait désirer : des collines et une plaine, un sol riche, un beau paysage, du bois de première catégorie en abondance, des érables à sucre, une bonne situation commerciale adaptée aux meilleurs marchés de l'Ouest avec une rivière dont le débit permettait la navigation de tous les genres de bateaux ou de barges et aussi des bateaux à vapeur qui pouvaient remonter ou descendre à chaque heure du jour et de la nuit pour transporter les passagers ou les marchandises où que ce soit entre la Nouvelle Orléans et Pittsburg. Il y avait là du bois pour combustible, de l'argile et de la pierre pour construire des habitations et un sol riche pour faire pousser de quoi manger. Que pouvait-on demander de plus à la nature ? Pourtant, cela s'est avéré rapidement insuffisant.

(A. J. MacDonald, cité dans Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 366-367 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


UNE CROISIÈRE SUR L’OHIO

Cloche de marine · Laiton · États-Unis, XXe siècle


Le 9 mai 1844, les fouriéristes de Cincinnati embarquent sur un bateau à vapeur pour prendre possession de leur domaine de Clermont, à quelques heures de navigation en amont sur la rivière Ohio :
« Nous étions environ 130. Le temps était beau mais frais, et le paysage de la rivière dans son habit de printemps était splendide. Les différents groupes avaient apporté des provisions avec eux, et vers midi, l’ensemble a été rassemblé et installé sur la table par les serveurs pour que chacun ait une part égale. Mais adieu l’égalité ! Quand le repas a été prêt, on s’est précipité dans la cabine et en un moment, toutes les places étaient prises. Quelques instants après, toutes les provisions avaient disparu et ceux qui n’avaient pas participé à la première ruée, sont repartis affamés. J’ai sauté un repas ce jour-là, mais j’ai eu l’occasion d’observer et de critiquer la férocité de l’appétit fouriériste. » (A. J. MacDonald, dans John Humphrey Noyes, History of the American socialisms, 1870, p. 366-367.)


Bateaux à vapeur sur l’Ohio à Cincinnatti
Photographie anonyme, vers 1907 · Library of Congress, Washington D.C.



Sources et références

Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 366-376.

McKinley (Kenneth William), « A Guide to the Communistic Communities of Ohio », The Ohio State Archeological and Historical Quaterly, 46, janvier 1937, p. 9.

Guarneri (Carl J.), The Utopian Alternative. Fourierism in Nineteenth-Century America, 1991.

Guarneri (Carl J.), « L'utopie et la "deuxième révolution américaine". Le mouvement fouriériste aux États-Unis, 1840 - 1860 », Cahiers Charles Fourier, n° 3, décembre 1992, p. 36-54.



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