Clarkson Industrial Association

Royaume de fumée au-dessus de la Terre. L’association industrielle et multiconfessionnelle de Clarkson, est la plus importante des colonies nées de la convention fouriériste de Rochester de 1843 : elle fait du phalanstère la promesse du vrai christianisme.

Rochester, État de New York · photographie anonyme, vers 1900 · Library of Congress, Washington D.C.

L'ouest de l'État de New York semble extrêmement réceptif à la propagande fouriériste. Une convention est organisée avec succès à Rochester en août 1843. Du projet avorté d'une Ontario Phalanx naissent plusieurs communautés : Clarkson Industrial Association (mentionnée d'abord sous le nom de Western New York Industrial Association), Sodus Bay Phalanx, Ontario Union, Bloomfield Union Association et Mixville Association. En mai 1844, les phalanges se fédèrent dans l'Union industrielle et élaborent une plate-forme commune. L'union préconise les échanges économiques entre les associations, recommande de commencer l'organisation fouriériste par la division du travail en branches (agriculture, artisanat et travail domestiques) et en classes (nécessité, utilité, attrait) ou encore fait des recommandations pour la constitution des groupes et séries de travail.

Les membres de Clarkson Industrial Association s'établissent en février 1844 sur la rive du lac Ontario à 50 km de Rochester, à l'embouchure de Sandy Creek, un des sites déjà prospectés par Ontario Phalanx. Ils y acquièrent plus de 800 hectares d'excellentes terres. La colonie détient un capital important évalué à 95 000 $ : à l'imitation des sociétés religieuses de l'État, les associés confient des terres en leur possession aux administrateurs de la communauté qu'ils sont chargés de vendre pour investir dans le domaine de Clarkson. Les colons se dotent d'une constitution qui attribue le droit de vote aux hommes et femmes de plus de 18 ans sur tous les sujets importants sauf celui des investissements à réaliser. L'association n'a cependant aucune existence légale. Elle ne sollicite pas sa reconnaissance par l'État de New York. Clarkson Industrial Association se trouve ainsi dans l'incapacité de faire des affaires en son nom et la propriété n'est pas juridiquement collective. Elle est « un royaume de fumée flottant au-dessus du monde » écrit un membre de la communauté (Noyes 1870, p. 279).

Au printemps 1844, l'association compte 420 membres (un nombre suffisant pour un phalanstère d'essai selon Charles Fourier), des ouvriers qualifiés, beaucoup de fermiers et parmi eux sans doute un nombre important de familles désœuvrées attirées par les promesses d'aisance et de confort contenues dans la publicité faite en faveur de l'expérience. 74 membres sont des chrétiens pratiquants. L'admission au sein de la colonie ne requiert cependant pas d'engagement religieux ou politique. La diversité des conditions et des confessions ne semble pas remettre pas en cause la bonne entente qui règne entre les colons de Clarkson. Le domaine est fertile et bien équipé. L'association possède un moulin à farine, deux scieries, un atelier mécanique, des bâtiments agricoles en bon état et des logements temporaires alignés en plusieurs rangs sur près de 800 mètres. Elle met 160 hectares en culture, dont 40 hectares de blé. Son cheptel comprend 400 moutons, 40 vaches, 25 attelages de chevaux, 12 paires de bœufs. La volaille est abondante. La colonie développe l'apiculture, elle cultive un jardin potager. Elle profite de grandes étendues de prés sur lesquelles elle fauche 200 tonnes de foin. À ceci s'ajoutent les ressources naturelles abondantes comme les baies sauvages récoltées en quantité. Clarkson Industrial Union prétend suivre « à la lettre » les prescriptions de Fourier, la classification et la rémunération du travail en fonction de leur attrait ou de la répugnance qu'il inspire.

Cependant, l'existence informelle de la communauté ne lui permet pas d'utiliser les capitaux confiés aux administrateurs et qu'ils détiennent, jugent les tribunaux, de manière illégale. L'association ne peut assurer la subsistance de tous ses membres et honorer leurs dettes. Une partie des terres est restituée à leurs propriétaires. En juillet 1844, 250 personnes, les associationnistes convaincus, sont encore à Clarkson avec l'espoir de refonder une communauté durable sur un domaine réduite à 250 hectares. Ils publient une nouvelle constitution et organisent le travail en groupes et séries suivant les principes fouriéristes. En décembre 1844, l'association a pris le nom de Port Richmond Phalanx. La colonie qui réunit encore une centaine de membre est dirigée par un monsieur Cannon ; le docteur S. Oliphant est chargé de l'éducation. Elle occupe une partie de l'ancien domaine de Clarkson Industrial Association, à l'embouchure de Sandy Creek, à 1,5 km de la côte du lac Ontario. La colonie compte sur le désensablement par le gouvernement de ce petit port naturel pour pouvoir communiquer par voie d'eau avec le lac et ainsi écouler sa production sur les côtes américaine et canadienne. La colonie est équipée d'une imprimerie et d'un atelier de fabrication de meubles. Port Richmond Phalanx disparaît au début de 1845.

Témoignages

John Creig a été membre de Clarkson Industrial Association en 1844 et 1845 :

« Nous n'avions aucun titre de propriété. Tous les membres hommes et femmes de plus de 18 ans votaient sur tous les sujets importants, sauf pour ce qui touchait à l'investissement et à l'utilisation du capital. Nous n'appliquions aucun critère religieux ou politique. Le premier principe sur lequel nous tentions de fonder l'association était d'établir aussi complètement que possible "la justice et le jugement" sur notre petite terre du domaine de Clarkson.
Nous avions des moyens importants, mais qui se sont avérés inefficaces. Le début et la fin de nos ennuis - que tous les lecteurs veuillent bien y prendre garde - tenaient au fait que nous n'avions pas de reconnaissance légale et pas la moindre protection de la loi. En conséquence, nous ne pouvions faire d'affaires, nous ne pouvions pas acheter ou vendre des terres ou un autre bien, nous ne pouvions intenter un procès ou nous voir intenter un procès, nous ne pouvions pas non plus être tenus pour responsables ou contraindre quelqu'un à l'être. Et comme la plupart d'entre nous n'ont jamais été capables d'adopter les rêves abstraits des adeptes de la résistance passive et de l'absence de lois, nous avons été dans l'impossibilité de vivre et de prospérer dans ce royaume de fumée "au-dessus du monde" ».

(John Creig, cité dans Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 278-279 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


John Creig a été membre de Clarkson Industrial Association en 1844 et 1845 :

« En ce qui concerne la religion, nous avions soixante-quatorze chrétiens pratiquants de toutes les confessions existantes en Amérique, sauf les millerites et les mormons. Nous avions une famille catholique (Dr Theller), un pasteur presbytérien et un autre universaliste. L'un de nos premiers administrateurs était quaker. Nous avions un athée, plusieurs déistes, bref, un échantillon complet à l'exception cependant de croyants sans confession. Comme nous étions libres pour la première fois de notre vie, nous parlions ouvertement, tous autant que nous étions, et nous avons constaté que chacun croyait en quelque chose. Tous les évangiles étaient prêchés en harmonie et en bonne amitié. Nous avons formé rapidement un comité pour le prêche de l'évangile, dans lequel se trouvait un représentant de chaque confession. Un déiste, d'esprit libéral et sans parti-pris dans son infidélité, avait été choisi comme président pour l'évangile, et il faut reconnaître qu'il s'est acquitté de sa tâche à l'entière satisfaction de ses frères dont la foi était plus affirmée. Un mot sur notre athée, notre pauvre et infortuné athée : dans le domaine, chaque âme le chérissait, et il était l'ami intime de notre ministre orthodoxe. Nous n'avions aucune difficulté en matière de religion, et si nous étions restés, nous aurions été plus près d'adorer Dieu et d'adorer les hommes que nous le sommes aujourd'hui, éparpillés comme nous le sommes à travers le continent. Pour l'admission en tant que membre, nous demandions un caractère convenable, rien de plus. On ne sollicitait pas de serment ou de contribution. Des promesses raisonnables étaient données et généralement tenues ».

(John Creig, cité dans Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 278-279 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Grant (E. P.), Ontario Phalanx, 1843.

The Phalanx, 1844, vol. 1, p. 69, 176, 222, 293-294.

Noyes (John Humphrey), History of American Socialisms, 1870, p. 278-285.

Guarneri (Carl J.), The Utopian Alternative. Fourierism in Nineteenth-Century America, 1991, p. 192-193.

Oved (Yaacov), Two Hundred Years of American Communes, 1993, p. 135.

Sutton (Robert P.), Communal Utopias and the American Experience: Secular Communities, 1824 - 2000, 2004, p. 28.



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