Kibboutz Buchenwald

Kibboutz de survivants.
À la libération de Buchenwald en 1945, un petit groupe de détenus juifs sionistes ne veut pas attendre son salut des alliés : il quitte le camp de concentration et
forme un kibboutz en vue d'émigrer en Palestine.

Rassemblement des anciens détenus de Buchenwald (Allemagne) regroupés par nationalités, après la libération du camp en avril 1945 · photographe Era Apelldoorn, 1945 · Ghetto Fighters’ House Museum, Israel, Photo Archive

En mars 1945, dans le camp de concentration nazi de Buchenwald, près de Weimar en Allemagne, s'est formé un petit groupe de seize juifs sionistes. Arthur Poznansky, évacué d'Auschwitz-Birkenau, n'a pas 30 ans ; en Allemagne, avant la guerre, il a été membre du Hechalutz, le mouvement consacré à l'éducation de la jeunesse juive européenne et à sa préparation pour l'émigration en Palestine, dans les kibboutzim en particulier. Yechezkel Tydor, juif pratiquant et sioniste de 42 ans, est un vétéran du camp de Buchenwald, où il organise un réseau de solidarité de jeunes juifs. Eliyahu Gruenbaum a été comme Poznansky membre du Hechalutz avant la guerre ; il est comme Tydor un ancien de Buchenwald, et participe activement dans le camp au réseau d'entraide organisé par celui-ci. Autour d'eux se regroupent une douzaine de jeunes gens acquis à l'idéologie sioniste visant l'établissement d'un peuple juif en Palestine. Une partie d'entre eux sont des socialistes radicaux. Dans le chaos du camp à l'approche des Alliés, le groupe s'organise en une commune égalitaire évoquant le kibboutz d'avant-guerre.

Le vendredi 11 avril 1945 à 4 heures de l'après-midi, l'armée américaine fait son entrée à Buchenwald. Le camp est libéré. L'administration militaire organise au sein du camp et dans les environs des centres de « personnes déplacées », dans lesquels les survivants de l'Holocauste tentent de retrouver des forces physiques et attendent leur rapatriement dans leur pays d'origine. Parmi les anciens détenus, les juifs d'Allemagne et d'Europe de l'Est sont dans une situation singulière que les Américains n'évaluent pas à sa mesure. Où peuvent aller ceux dont les familles ont disparu et dont les biens ont été spoliés ? Veulent-ils retourner dans des pays comme la Pologne où l'anti-sémitisme est toujours vigoureux ? En Union soviétique anti-sioniste ? Peuvent-ils rester en Allemagne avec leurs bourreaux pour voisins ? En Palestine, où l'émigration juive reste sévèrement limitée par les autorités britanniques ? Plutôt qu'attendre dans le centre de personnes déplacées les instructions de l'administration militaire américaine, et pour échapper à l'environnement de corruption morale créé par la généralisation du marché noir au lendemain de la libération, le groupe des sionistes de Buchenwald prend la décision énergique de fonder un kibboutz dans la région et ainsi de renouer avec leur idéal d'avant-guerre.

Parmi les troupes américaines entrées à Buchenwald le 11 avril 1945 se trouve un aumônier militaire juif, Herschel Schacter, qui s'efforce d'assister les anciens détenus juifs malgré l'inertie de son administration. Dès avril 1945, Pozniansky, Tydor et Gruenbaum vont trouver Schacter pour qu'il les aide dans leur projet de quitter le camp et pour fonder une communauté agricole où les jeunes sionistes seraient préparés à l'alya (l'émigration en Palestine). Schacter réussit à convaincre un colonel de l'administration américaine d'attribuer au groupe une grande ferme confisquée aux nazis à Eggendorf bei Blankenheim, à 30 km de Buchenwald, et d'organiser leur transport jusque-là. Le dimanche 3 juin 1945, deux mois après la libération du camp de concentration, les 16 chaloutzim (« pionniers » se préparant à l'alya) arrivent à Eggendorf. Dans la ferme, ils trouvent quelques vaches, chevaux et bœufs, une maison à un étage, un tracteur cassé et une voiture en panne. La communauté est baptisée Kibboutz Buchenwald. Le rabbin Herschel Schacter est présent et encourage les pionniers à l'unité malgré leurs différences idéologiques et religieuses (il y a parmi eux des juifs orthodoxes, des juifs du mouvement ouvrier syndical et des juifs de la gauche radicale anti-religieux). Avraham Gottlieb, l'un des chalutzim, note à ce moment dans son journal commencé en détention à Buchenwald : « Chaque personne est libre d'imaginer la façon de vivre qui lui convient le mieux et d'adopter l'opinion idéologique qu'il croit la plus juste, et en même temps, nous devons organiser notre vie ensemble d'une manière démocratique, avec l'aile droite faisant preuve de tolérance pour l'aile gauche et vice versa, avec des juifs laïcs montrant de la tolérance à l'égard des juifs religieux et réciproquement » (Baumel 1997, p. 28).

L'organisation de la ferme de Eggendorf est collective : ils prennent leurs repas dans la salle à manger commune, ils établissent un tableau de répartition des tâches, assument à tour de rôle la direction du kibboutz. Malgré le principe sioniste du « travail juif » et leurs préventions à l'égard de leurs voisins, et en raison de leur inexpérience, la communauté de Eggendorf doit toutefois employer des travailleurs allemands non juifs. La ferme n'est pas autosuffisante et les membres sont comme les centres de déplacés ravitaillés par l'armée américaine puis par l'agence des Nations unies. Eggendorf attire dans les semaines qui suivent plusieurs dizaines de juifs déplacés, pour la plupart assez indifférents à l'idéologie sioniste et pour qui le kibboutz Buchenwald ne représente qu'un moyen pour fuir Buchenwald.

Mais les membres du kibboutz apprennent bientôt que la Thuringe, où se trouve Eggendorf, doit prochainement passer sous contrôle soviétique. L'alya deviendrait impossible car le régime de Staline s'oppose à l'émigration juive en Palestine. De plus, une partie des membres refuse le socialisme. Il apparaît nécessaire de déplacer le kibboutz plus à l'ouest en zone américaine. Yechezkel Tydor, qui a vécu à Francfort avant la guerre, pense à une ferme utilisée jusque 1941 par des chaloutzim religieux, au nord de Francfort, dans la région de Fulda. Avec l'aide du rabbin Schacter, les leaders du kibboutz partent à Fulda et rencontrent le commandant militaire du district, un juif, le lieutenant Finkelstein, qui leur accorde la propriété de la ferme de Geringshof occupée par des allemands après la déportation des chaloutzim. Au cours de leur première inspection de la ferme, Tydor et Gruenbaum découvrent dans un appentis une Thora et une inscription en yiddish, « Nous reviendrons ». Les membres du kibboutz Buchenwald ont le sentiment de boucler un cercle interrompu par la guerre.

Le 24 juin 1945, 53 hommes et femmes arrivent de Eggendorf à Geringshof dans un autobus et deux camions prêtés par l'agence des Nations unies. Quatorze membres restés à Eggendorf les rejoignent en charrettes au début de juillet après un voyage de quatre jours. La diversité idéologique des membres du kibboutz amène la communauté à former un conseil de 6 représentants des différentes tendances. Yechezkel Tydor accepte de présider le conseil en tant que « Kibboutz Pater Familias » après avoir obtenu l'assurance que le shabbat serait strictement observé dans le domaine public du kibboutz par égard pour les membres religieux.

Témoignages

Sources et références

Baumel (Judith Tydor), Kibbutz Buchenwald. Survivors and Pioneers, 1997.



voir