The Brotherhood Workshop

En roue libre.
Dans leur atelier de bicyclettes, les anarchistes de Brotherhood Workshop fondent en 1897 un foyer de résistance passive en plein centre de Leeds.

Un atelier de fabrication de bicyclettes (Dayton, Ohio) · photographie Wilbur et Orville Wright, 1897 · Library of Congress, Washington D.C.

The Bortherhood Workshop est la première communauté anarchiste urbaine d'Angleterre, installée en 1897 à Leeds au 6, Victoria Road. La fondation de cet atelier coopératif naît de la rencontre entre deux anarchistes du nord imprégnés de philosophie tolstoïenne, William « Billy » MacQueen et John Coleman Kenworthy qui rend visite à Tolstoï en Russie en 1895. En 1897, MacQueen est touché par le discours de Kenworthy, venu donner des conférences à Leeds ; il décide d’inaugurer avec lui une communauté établie en plein centre ville de Leeds et basée sur les principes de la coopération volontaire et de la non-violence.

MacQueen et Kenworthy, unanimement reconnus comme de très bons orateurs, très expérimentés, gagnent sans peine une audience pour diffuser leurs idées dans les centres industriels et recruter les premiers membres de The Brotherhood Workshop. L’audience de Kenworthy est grande : ses appels avaient déjà eu une réelle influence dans la fondation des colonies anarchistes chrétiennes de Croydon et de Purleigh en 1896. Quelques anciens membres de Purleigh, de Whiteway et de la Brotherhood Church de Stapleton le rejoignent d’ailleurs à Leeds. MacQueen, voyageur de commerce, profite quant à lui de ses déplacements professionnels dans le pays pour faire de la propagande anarchiste.

Tous deux s’intéressent aux avancées concrètes sur le terrain plutôt qu'aux débats théoriques dont se contentent certains de leurs camarades. La création de The Brotherhood Workshop est rendue possible par leur rapprochement avec George Gibson, un petit fabricant prometteur de Leeds, spécialisé dans les cycles et les appareils électriques. À un moment où Leeds connaît des grèves massives dans l'industrie, Gibson, attiré par les idées de Tolstoï, a le désir de transformer son entreprise en atelier coopératif. Pour l'y aider il est rejoint par D. B. Foster, petit manufacturier et ancien prédicateur laïc de l'Église méthodiste. Les membres du groupe initial de Brotherhood Workshop, largement formé d’ouvriers de l'industrie, reçoivent ainsi une part du capital de l’atelier de Gibson.

L’atelier, sans règles ni lois, est organisé selon les principes anarchistes et communistes. Chaque membre reçoit le nécessaire selon ses besoins, sur la base d’un commun accord ; les profits sont immédiatement réinvestis dans le développement de la coopérative. L'atelier doit constituer « une oasis dans le désert du mercantilisme » (Hardy 1979, p. 193). L’un des grands objectifs de la communauté est la suppression de la monnaie dans ses échanges. Les activités de l'atelier se diversifient rapidement. En plus de la construction de bicyclettes et de la réparation d’appareils électriques, la communauté effectue des travaux de menuiserie. On aménage une salle de réunion et deux pièces supplémentaires où vivent certains camarades (d’autres logements communautaires doivent être aménagés par la suite). The Brotherhood Workshop est un atelier de production, mais devient aussi un lieu de vie, d’hébergement et de rencontre pour les sympathisants.

Pour faire connaître les nouvelles activités et les nouveaux membres, des comptes rendus sur les progrès de l’atelier et le fonctionnement de la communauté sont régulièrement publiés dans The New Order et dans l’organe de presse du groupe, le mensuel The Free Commune fondé par MacQueen en 1898. Les membres veulent prouver qu'en dépit de la charge de travail importante et malgré l'organisation maintenant plus complexe générée par leurs nombreuses activités, leur liberté individuelle demeure entière. En dehors de leur cercle, ils donnent des lectures publiques et tiennent des réunions ouvertes à Leeds pour expliquer au grand public leur travail et leurs convictions. Ils soulignent que les anarchistes, les socialistes et les membres des églises chrétiennes s’intéressent de près au succès de leur expérience du « communisme industriel » (industrial communism).

Mais dans le même temps, la communauté prend conscience des contradictions qui existent entre la gestion d’une coopérative communiste et l’obligation de vendre leurs productions sur le marché. L’un des membres, Tom Ferris, réputé avoir voyagé jusqu’en Russie pour visiter Tolstoï sans dépenser d’argent, émet rapidement des critiques : il estime qu'il est difficile de concilier la volonté de la communauté d'abandonner la monnaie et ses pratiques commerciales. Le contexte politique complique l'avenir de l'expérience et l'activisme de Billy MacQueen, qui demeure le vrai guide de la communauté, lui attire de graves ennuis avec les autorités. Il édite des pamphlets et organise des manifestations massives contre la guerre des Boers : celle du 1er octobre 1899 à Leeds, qui rassemble 2 000 personnes, est un succès. Mais lors d’une autre manifestation en 1900, il est roué de coups et presque lynché par la foule après son discours.
La communauté semble alors s'affaiblir. Dès 1899 une dizaine de membres de The Brotherhood Workshop sont partis constituer la deuxième communauté anarchiste urbaine d'Angleterre, Blackburn Brotherhood, dans le Lancashire. C'est le cas de Tom Ferris qui s’y installe avec son épouse. Le groupe est dissout dans les toutes premières années du XXe siècle. Dès 1902, William MacQueen, au chômage, est poussé à émigrer par ses amis : il quitte finalement Leeds pour les États-Unis. Il s’installe à Hull dans le Massachusetts, lieu de refuge des anarchistes allemands dont il est proche. Il édite un journal à Paterson (New Jersey) et à New York mais il est arrêté et emprisonné pour incitation à la grève : il tombe sous le coup de nouvelles lois condamnant l’anarchisme, les Criminal Anarchy laws. Revenu en Angleterre, il meurt à 33 ans en 1908 d'une tuberculose contractée en prison. À Leeds, il ne reste actuellement rien du 6, Victoria Road, le quartier ayant été entièrement réaménagé au cours du XXe siècle.

Témoignages

The Free Commune publie une publicité satirique pour les productions de l'atelier, avec le récit la conversion à l'anarchisme de George Gibson :

« Il y a peu de temps, un certain G. Gibson possédait une affaire d’ingénierie électrique et de cycles et était, dans le sens de Samuel Smiles, un jeune homme prometteur. Mais hélas pour nos bons vendeurs d’épargne, il n’a pas tenu ses promesses. Notre camarade s’est rendu compte qu’il avait contribué à perpétuer le système de la propriété privée et qu’il devait changer de voie. Pour en arriver à cette conclusion, nous sommes heureux de pouvoir dire qu’il a été grandement aidé par l’enseignement pernicieux de J. C. Kenworthy. Le résultat est qu’il a transformé ce commerce en un atelier communiste, et aujourd’hui, avec plusieurs autres camarades, il est occupé à faire des bicyclettes aussi joyeusement que les hommes le font dans les images des temps joyeux à venir.
L’organisation est entièrement anarchiste et communiste par essence. Chaque homme reçoit selon ses besoins, sur la base d'un accord commun, sans recours à de quelconques règles ou lois. Les profits du commerce sont dévolus à son extension et doivent servir à aboutir à une vraie communauté communiste organisée, une oasis dans le désert du mercantilisme.
Inutile de dire que nous voudrions voir tous les camarades qui auraient besoin de quoi que ce soit dans le genre cycles, pneus, appareils électriques, fréquenter l'endroit.
De bons vélos, qui ne sont pas faits avec de vieux tuyaux de gaz et qui en valent bien d'autres vendus le double, s'y trouvent à partir de 9 livres. »

(The Free Commune, juin 1898, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 193-194 ; traduction Familistère de Guise.)


Sources et références

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 192-196.

Notice biographique de William MacQueen sur le blog libcom.org, [En ligne], URL : http://libcom.org/history/articles/1875-1908-william-macqueen, consulté en août 2012.

Blog de la Kate Sharpley Library, [En ligne], URL : http://kslnotes.wordpress.com/2012/04/10/free-commune-and-billy-macqueen/, consulté en août 2012.

Alston (Charlotte), « Tolstoy's Guiding Light », History Today, vol. 60, 2010, [En ligne], URL : http://www.historytoday.com/charlotte-alston/tolstoys-guiding-light, consulté en août 2012.



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