Wonwondah

Une Arcadie australe.
Des villages coopératifs comme Wonwondah constituent en 1892 pour le révérend Tucker un système d’émancipation économique et sociale pour les sans-emploi de Melbourne.

Monts Grampians aux environs de Wonwondah en 2010 · (cc) photographie Robin Hansen, 2010

La dépression économique du début des années 1890 en Australie laisse désœuvrés un grand nombre de travailleurs. Le climat social est particulièrement tendu. La grande grève des tondeurs de moutons, déterminante dans l’histoire sociale et politique australienne, agite le pays de janvier à juin 1891. Les grandes villes voient affluer de l’intérieur du pays des ouvriers au chômage. Un ministre du culte de Melbourne, le révérend Horace Tucker, propose de créer dans l’État de Victoria des colonies coopératives agricoles pour les familles des chômeurs de la ville. En février 1892, il fonde avec le révérend Charles Strong The Village Settlement Association, lance une souscription et cherche à intéresser le gouvernement. Tucker fait valoir que l'État serait bien plus efficace en organisant des villages coopératifs qu’en finançant la soupe populaire.

En mars 1892, Tucker expose son plan devant le clergé de Melbourne réuni à l’hôtel de ville. L'association pour la fondation de villages poursuit les objectifs suivants : occuper les chômeurs, favoriser la colonisation du pays, appliquer à l’agriculture les méthodes de la coopération en préservant l’indépendance des individus, développer la vie sociale, familiale et spirituelle de la communauté villageoise par la constitution d’associations de travailleurs. L’idée de Tucker est de substituer à la charité un système d'émancipation économique et sociale des travailleurs pauvres, système qui combine ruralité, coopération et propriété individuelle. Le communisme et la démocratie en moins, le projet n'est pas sans rapport avec la Nouvelle Australie de William Lane et la première application de son programme à Alice River par les tondeurs de moutons grévistes.

The Village settlement Association est dirigée par un conseil présidé par Horace Tucker. Elle recueille des fonds par souscription auprès du public ou du gouvernement, finance l'acquisitionde terres, sélectionne à Melbourne les candidats à la colonisation et prend en charge les frais de leur installation. Sept villages sont créés dans l’État de Victoria au cours de l'année 1892. Ils sont accessibles par le chemin de fer pour faciliter la colonisation et maintenir un lien étroit avec le conseil de l'association à Melbourne. Celui-ci nomme un directeur à la tête de chaque village. Des experts de différentes branches d’activité assistent les nouvelles communautés. L'élevage, l'exploitation forestière, les travaux d'irrigation ou la construction des maisons d’habitation sont menés en coopération. Les colons travaillent huit heures par jour et cinq jours par semaine pour la communauté. Leur compte est crédité des revenus de leur travail et débité des frais engagés par la communauté.

Chaque famille se voit attribuer une parcelle de quelques hectares qu'elle va cultiver en dehors du temps de travail communautaire pour subvenir à ses besoins et pour rembourser à l'association le coût de l'acquisition foncière et des différentes aides qui lui sont avancées pendant la première année. Les villages disposent de réserves foncières non alloties, destinées à la récolte de fourrages et au pâturage notamment, sur lesquelles les colons doivent devenir collectivement propriétaires. Quelques équipements collectifs sont créés. Dans la pensée de Tucker, le gouvernement des villages sera confié à leurs habitants une fois qu'ils auront atteint une autosuffisance économique. Environ 700 personnes vivraient dans les « Tucker villages » en mai 1893. Les colonies les plus importantes sont Red Hill, près de Drouin, et Wonwondah, près de Horsham. Le mouvement initié par Tucker et Strong inspire le Crown Land Act de 1893 qui autorise la création de colonies rurales gouvernementales. En 1894, Horace Tucker publie un roman utopien transposant l'expérience des « Tucker villages » : New Arcadia. An Australian Story.

En mai 1892, l’association de Tucker crée un village de grande ampleur dans l’ouest de l’État de Victoria. Elle acquiert 600 hectares à Wonwondah East, près de Horsham, petite ville desservie par le chemin de fer située à 300 km à l'ouest de Melbourne. Une centaine de personnes de la capitale de Victoria – 40 hommes et 60 femmes et enfants – s’y installent. Le choix des candidats par le conseil de l’association ménage une certaine diversité sociale : si une partie des colons est, comme à Red Hill, sans aucune ressource, d’autres possèdent un capital. En août 1892, Tucker procède à la division d'une partie du domaine en parcelles de 2 à 5 hectares, qui sont chacune attribuées par tirage au sort à une famille. Les petites parcelles sont destinées à ceux qui veulent développer une activité industrielle ou artisanale – forge, construction mécanique, apiculture, scierie –, alors que les autres lots sont voués à l'agriculture. L'endurance des colons est mise à l'épreuve. Un an après leur arrivée, ils vivent toujours sous des tentes. Seules trois maisons ont été construites. Les premiers résultats semblent cependant encourageants. Aucune des 23 familles du village ne souhaite quitter le bush malgré la rudesse du climat. Le village possède une centaine de moutons, une dizaine de vaches et neuf chevaux. La plupart des familles ont commencé à cultiver leur parcelle ; elles élèvent presque toutes un cochon et possèdent un petit poulailler. Un bâtiment communautaire, à la fois église, salle de réunion, fumoir et salle des fêtes, a été mis en chantier. La scierie de Moora Moora – une dépendance de Wonwondah installée à 50 km de là et où vivent 11 familles – a obtenu un contrat avec l'État pour la livraison de traverses de voies de chemin de fer, qui apporte de substantiels revenus à la colonie.

Les revenus des villages sont toutefois insuffisants. Faute de plantations adaptées la première année, la production agricole ne s'est pas développée. En 1895, The Village Settlement Association doit faire face à une dette de 3 000 £. Tucker et Strong doivent payer de leur poche 1 000 £. L'aide de 1 000 £ attribuée par le gouvernement ne permet pas de redresser la situation des Tucker villages, dont il n'est plus question dans la presse après 1895.

Témoignages

Sources et références

The Argus, 29 mars 1892, 6 avril 1892, 29 avril 1892, 11 mars 1893, 23 août 1893.

The Horsham Times, 10 mai 1892, 20 mai 1892, 30 août 1892, 26 mai 1893.



voir