Murtho Co-operative Village Association

Murtho, Nouvelle Australie sur la rivière Murray.
Quelques communistes d’Adélaïde veulent en 1893 reproduire la colonie égalitaire New Australia récemment fondée au Paraguay. Ils partagent avec des colonies gouvernementales de travailleurs désœuvrés les rives de la Murray, ruban d’eau dans le désert d'Australie méridionale.

La rivière Murray à la frontière du New South Wales et de South Australia · (cc) photographie Clogwog, 2011

L’appel lancé en 1891 par le journaliste William Lane, après l’échec de la grève des tondeurs de moutons du Queensland, pour la fondation d’une commune égalitaire en Amérique du sud est largement entendu dans les classes populaires du pays affectées par la dépression économique. Ils sont peu nombreux toutefois à pouvoir gagner New Australia au Paraguay. À Adélaïde, un petit groupe décide à la fin de 1893 de mettre en pratique les principes de New Australia en Australie méridionale : propriété commune de toutes choses à l’exception des effets personnels, égalité de tous les membres, égalité des sexes, coopération substituée à la concurrence, gouvernance démocratique. Comme William Lane, le petit groupe pense que l'expérience doit être réservée aux candidats qui adhèrent aux principes communautaires. La population de la future colonie est ainsi limitée dans un premier temps à 25 familles ; le montant de l‘apport minimal des membres est, comme à New Australia, fixé à 60 £ pour un couple et 40 £ pour un homme seul ; les candidats sont soigneusement sélectionnés.

Les communistes choisissent de s'établir au bord de la rivière Murray, où le gouvernement d’Australie méridionale a justement décidé de subventionner un programme de création de colonies de travailleurs désœuvrés. Le Crown Lands Act de 1893 est en quelque sorte une réplique de l'État à l'appel à l'émigration de William Lane. Une douzaine de villages coopératifs sont ainsi fondés le long de la rivière Murray où s’installent plus de 1 700 personnes. L'association pour la colonisation de Murtho obtient du gouvernement la concession d'un domaine de 800 hectares près de Renmark contre le paiement d’un loyer. Elle est officiellement reconnue par son intégration dans le Village Settlements Act. En mai 1894, une avant-garde de 6 hommes est dépêchée à Murtho par l’association pour préparer l’installation de la communauté qu'on appelle la « Nouvelle Australie au bord de la Murray » (The Brisbane Courier, 14 mai 1894).

À la différence des colonies gouvernementales, qui regroupent une population démunie entièrement dépendante du soutien des autorités, l’association de Murtho réunit des familles qui disposent d'un certain capital. Son organisation prévoit l'élection annuelle par l'assemblée générale des associés d'un conseil d'administration de cinq membres dont les réunions sont mensuelles. L'assemblée générale a lieu deux fois par an ; la majorité des voix – les femmes disposent d'une voix comme les hommes – est requise pour l'adoption d'une proposition.

En mars 1895, la colonie réunit 13 hommes et 7 femmes. Ils ont posé 4 ou 5 kilomètres de clôtures autour des champs qu’ils ont défrichés, créé un verger de 20 hectares d’abricotiers et de pêchers ainsi qu'un potager, planté du blé, de l’avoine et de la vigne. Ils possèdent 9 chevaux, 10 bovins, 100 moutons et 6 cochons. Cinq maisons en pierre entourées d'un jardin ont été construites face à la rivière, le long d'une route tracée au sommet des falaises au pied desquelles coule la Murray. Le village comprend un magasin communautaire approvisionné par un bateau qui fait escale une fois par mois, un atelier de menuiserie et un autre de serrurerie. Murtho ouvre une petite bibliothèque et une école placées sous la direction d'Elsie Birks, dont le frère a rejoint la Nouvelle Australie au Paraguay. Après le départ de son fils, John Napier Birks abandonne sa pharmacie de Port Adelaïde en 1895 pour vivre avec sa famille à Murtho, dont il devient le médecin et le responsable du magasin. Le socialiste Harry Taylor, qui a suivi William Lane à New Australia puis à Cosme au Paraguay, devient membre de Murtho à son retour en Australie en 1897.

Malgré ses quelques moyens, l'association a rapidement recours à l'aide gouvernementale comme les autres colonies des rives de la Murray. En 1895, elle doit emprunter 600 £ au gouvernement pour l’installation d’une station de pompage de l’eau de la rivière. L’irrigation des terres cultivées est une nécessité dont les colons n'ont pas saisi immédiatement l'importance vitale car la première saison a été pluvieuse. La faiblesse des récoltes suivantes met la colonie dans une situation délicate. Le choix du site de la colonie s'avère malencontreux : les falaises qui bordent la Murray sont très élevées à Murtho et le pompage de l'eau y est difficile. Le système d'irrigation mobilise quatre hommes de jour et quatre autres hommes de nuit. À ces difficultés, s'ajoutent l'inexpérience des colons en agriculture et des dissensions au sujet des principes communistes de Murtho. Au début de 1899, le gouvernement préconise la dissolution de Murtho. Après avoir compté 16 familles, la communauté est réduite à 7 hommes, 7 femmes et 19 enfants, elle doit 3 700 £ au gouvernement et ses membres ont perdu 1 000 £. La colonie de Murtho disparaît en 1900. Le gouvernement abandonne son programme de colonisation des villages de la Murray en 1902 et cède les terres à des propriétaires privés.

Témoignages

Elsie Birks est la fille d'un pharmacien d'Adélaïde qui rejoint la colonie de Murtho en 1895 après que son fils soit parti au Paraguay participer à la Nouvelle Australie communiste de Willliam Lane ; Elsie Birks devient l'institutrice de la colonie de Murtho :

« Le voyage jusqu'à la rivière Murray fut une joyeuse aventure pour nous autres jeunes gens. Pour mon père, cela signifiait l'émancipation de la pharmacie, qu'il avait toujours haïe. À la mort de  son père (John Birks, l'un des six frères Birks d'Adélaïde et le dernier à mourir, à l'âge de 83 ans), il a pris le premier travail qui se présentait à lui, âgé de 12 ans. Mais pour ma belle-mère, j'imagine que ça a dû être un cauchemar de quitter sa confortable maison de douze pièces de Woodville, avec un grand jardin et un verger, où il y avait en permanence une servante et où venait une fois par semaine une lingère, pour déménager dans trois grandes pièces en pierre et une vaste véranda qui était divisée en quatre pièces supplémentaires, et devoir se passer de salle de bains (bien que l'on puisse se baigner tous les jours dans la rivière), se charger de quatre jeunes enfants si loin du docteur de la famille (encore qu'il ait dit sincèrement que nous n'aurions pas besoin de lui là-bas), cuire le pain, faire le beurre pour notre famille de 8 ou 9, faire elle-même la lessive, le ménage et la cuisine. Je sais qu'elle se plaignait souvent en allant se coucher le soir. »

(Manuscrit d'Elsie Birks, sans date, State Library of South Australia.)


Elsie Birks est la fille d'un pharmacien d'Adélaïde qui rejoint la colonie de Murtho en 1895 après que son fils soit parti au Paraguay participer à la Nouvelle Australie communiste de Willliam Lane ; Elsie Birks devient l'institutrice de la colonie de Murtho :

« Nous avions une pompe pour pomper l'eau de la rivière jusqu'en haut de la falaise où elle s'écoulait dans des canaux jusqu'au grand jardin, au verger et à la vigne que nous avions plantés. Nous avions aussi quelques acres semés de blés au magnifique rendement. Mais les trois années qui suivirent furent trop sèches – seulement 12 cm de pluie par an – et nous ne pouvions pas irriguer notre enclos de blé. Et puis deux hommes étaient mobilisés à la machine pour pomper toute la journée – et deux autres pendant la nuit – pour alimenter le verger et tout le reste. Le travail était trop coûteux. »

(Manuscrit d'Elsie Birks, sans date, State Library of South Australia.)


Sources et références

The Brisbane Courier, 14 mai 1894.

South Australian Register, 18 mars 1895.

The Advertiser, 18 février 1899.

Barrier Miner, 28 mars 1899.



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