Whiteway Colony

L’anarchisme sans violence et sans dogme de Whiteway.
La destruction de son titre de propriété est l’acte de naissance de la colonie agricole anarchiste de l’ouest de l’Angleterre. Elle est active depuis 1898 grâce à sa
politique de compromis avec les principes communautaires.

Lottice et Wilfred Davies à Whiteway · photographie anonyme, été 1924 (détail) · collection Judy Greenway

Whiteway est la plus ancienne colonie séculière d'Angleterre, et occupe de ce fait une place à part dans l’histoire des communautés du pays. Elle est fondée en 1898 par un groupe d’anarchistes non-violents dissidents de Purleigh Colony, exclus pour leur refus d’adopter une existence « tolstoïenne » orthodoxe. Le travail pénible, la sélection des membres et l'abstinence comme vertu, qu'on y prône alors, ne permettent pas selon eux d'atteindre la liberté. Leur choix pour installer une nouvelle communauté se porte donc sur Whiteway, où ils achètent 17 hectares de terres, brûlent rituellement les titres de propriété et déclarent la propriété commune. L’appel aux colons paru en 1898 dans The New Order affirme qu’une vraie fraternité tolstoïenne est possible mais prévient que, comme le Royaume de Dieu, elle ne peut être atteinte qu’au prix d’une rude ascension. Il s’agit de faire sortir la notion de réforme politique et sociale du domaine du fantasme, car l'opinion perçoit plutôt Whiteway comme un monde idyllique – « perfect weather, agreable companionship » – empreint de naïveté politique.

Lors de son installation en août 1898, le petit groupe comporte huit colons, mais d’autres se préparent déjà à les rejoindre. On compte parmi eux des immigrés anarchistes, des réfugiés espagnols, des objecteurs de conscience, des intellectuels mais aussi des artisans éclairés désireux de travailler en collaboration plutôt qu'en concurrence. Les colons sont divisés en deux factions : un « village group », qui envisage son avenir dans la petite industrie et l’intégration au village voisin de Sheepscombe, et un «  and group », à Whiteway même, avec l’agriculture comme principale activité. Les deux communautés sont destinées à se soutenir mutuellement, mais Whiteway prend le dessus. Les quelques personnes qui restent à Sheepscombe ne s’engagent pas dans la vie communautaire.

Durant les deux premières années, la terre, formée de grandes parcelles ouvertes, est cultivée collectivement sur la base d’une coopération volontaire. Les colons construisent eux-mêmes différentes maisonnettes et huttes en bois. Il n’y a ni organisation formelle ni leader. L'argent est placé dans une caisse commune et les repas sont préparés et pris en commun ; il y a également une buanderie et un four à pain communautaires. La fabrication du pain, vendu à Stroud et Cheltenham, devient une activité à temps plein. Les biens communs sont accessibles à tous, même aux personnes extérieures, selon le principe que les choses doivent appartenir à ceux qui en ont le plus besoin. Pour les membres, ce comportement généreux, tout comme le végétarisme, est un moyen d’affirmer leur non-violence. Whiteway reçoit d'alleurs en 1909 la visite de Gandhi, engagé lui-même à cette époque dans des expériences communautaires comparables, Phoenix Settlement et Tolstoy Farm en Afrique du Sud.

Sous l'influence de Nellie Shaw, venue de Croydon pour aider au démarrage de la colonie, la communauté favorise l’émancipation des femmes. Elles ont infiniment plus de liberté que dans la société victorienne. Elles portent la « rational dress », vêtement plus pratique que ceux que permettent les conventions. Elles peuvent choisir de se marier ou non, même si l’union libre est préférée par l'idéologie tolstoïenne. Femmes et hommes sont, surtout, égaux dans le travail.

Les débuts de la colonie ne vont pas sans problèmes. Les étés sont caniculaires, les hivers froids, il y a peu de nourriture disponible et le confort est sommaire. La politique d’entrée libre attire certaines personnes trop préoccupées par leur intérêt personnel. L'émancipation des femmes est un pas vers l’égalité, mais limité par le refus des hommes de la communauté d’abandonner leur travail habituel pour des tâches domestiques.

Comme d’autres communautés avant elles, Whiteway aurait pu disparaître du fait de ces problèmes. Au lieu de cela, elle fait des compromis pour survivre. Le système communautaire ne dure que deux ans : les principes purement communistes, jugés peu applicables, sont abandonnés. Le groupe ne suit donc pas aveuglément une doctrine, mais reste pragmatique et ouvert. La longévité de Whiteway s’explique sans doute par sa faculté d’adaptation. D’un engagement initial dans les idéaux tolstoïens, le groupe glisse vers un anarchisme individualiste et matérialiste basé sur une forme de « possession individuelle » inspirée de Proudhon : on s’accorde pour que chacun prenne en charge la surface de terre dont il est en mesure de s’occuper, en général à peu près un hectare. La terre est alors divisée en une multitude de parcelles closes. Un comité de résidents décide de la manière de réattribuer les terres en cas de départ de membres.

Alors que les avancées les plus novatrices sont abandonnées, on tente à plusieurs reprises de revenir au système communautaire, avec l’arrivée d’anarchistes européens pendant la première guerre mondiale, puis dans les années 1920 et 1930. Mais ce second souffle est de courte durée, et la nouvelle orientation est adoptée progressivement. Les repas communs disparaissent, les lessives collectives continuent un temps, puis disparaissent. Les membres les plus militants, parmi lesquels Nellie Shaw, sont déçus par la dilution progressive de l’esprit pionnier. Pour certains colons, Whiteway est matériellement un échec, même si elle a incarné un temps des idéaux. Cependant, malgré une montée de l’individualisme, on ne revient pas au principe de la propriété privée. Dans les années 1920, les autorités considèrent que la communauté menace l'ordre public par la pratique de l'amour libre et du naturisme. Elle est alors surveillée de près et infiltrée par les services secrets.

Aujourd’hui, Whiteway est toujours connue localement sous le nom de « The Colony ». La gouvernance de la communauté dans son ensemble est toujours assurée par l'assemblée générale, qui gère et entretient les installations communales, la salle communautaire, les terrains de jeux et la piscine (construite en 1969), les ruelles et sentiers. Il demeure sur le site des vestiges du passé communautaire : la pensée anarchiste se perçoit implicitement dans le réseau sinueux de sentiers et le dédale des parcelles. Parmi les bâtiments des origines, beaucoup ont disparu ou ont été modifiés, mais il reste le community hall, construit collectivement en 1925, la boulangerie et quelques unes des premières maisons en bois. Sous le vernis villageois de la colonie, quelque chose de l’esprit de liberté des débuts demeure, et lors de la célébration du centenaire de 1998, le drapeau noir flottait encore sur certaines maisons.

Témoignages

Joseph Burtt, l'un des pionniers de la colonie, décrit l'état d'esprit des débuts :

« Je n’ai pas souvenir que la pluie soit jamais tombée sur cette douce Arcadie ; mais ce fut sans doute le cas... Si nos pieds étaient dans les rangs de patates, nos têtes étaient dans les étoiles. Nous nous sentions comme des dieux. »

(Joseph Burtt, cité par Shaw (Nellie), A Colony in the Cotswolds, 1935, p. 5 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


William Sinclair est membre de Whiteway en 1935 :

« Nous ne nous plaçons pas comme des réformateurs de la société, mais nous essayons de nous réformer nous-mêmes... En portant des robes réformées, en enseignant à l’opinion publique que cette manière de faire est meilleure que de faire porter aux autres des vêtements seulement à moitié réformés ; faire pousser des pommes de terre et des choux, ou construire, est mieux que d’enrichir les comptes en banque des gens. Vivre le plus possible selon nos idées, c’est ce que à quoi nous aspirons. »

(William Sinclair, cité dans Shaw (Nellie), A Colony in the Cotswolds, 1935, p. 59-60 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)





Nellie Shaw s’installe à Whiteway aux commencements de la colonie pour y promouvoir l’émancipation des femmes :

« Ceux d’entre nous qui tentent d’être parfaitement en adéquation avec l’enseignement tolstoïen reçoivent l’idée des unions libres comme une grande amélioration du mariage légal, dans lequel, selon la loi, une femme devient un bien meuble, baguée et étiquetée comme la propriété de son mari, perdant même son nom dans le mariage - presque son identité. »

(Shaw (Nellie), A Colony in the Cotswolds, 1935, p. 128 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Hart (William), Confessions of an Anarchist, 1906, p. 78-79.

Shaw (Nellie), A Colony in the Cotswolds, 1935.

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 199-207.

Coates (Chris), Utopia Britannica. British Utopian Experiments, 1325 - 1945, 2001, p. 206-207.

Thomson (Mark), Gandhi and his Ashrams, 1993, p. 23.

« Kleber Claux », [En ligne], URL : http://en.wikipedia.org/wiki/Kleber_Claux, consulté en mai 2012.

Wilkinson (Philip), « Whiteway, Gloucestershire », English Buildings, 25 février 2009, [En ligne], URL : http://englishbuildings.blogspot.com/2009/02/whiteway-gloucestershire.html, consulté le 12 mars 2012.



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