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Des chômeurs anglais se laissent en 1892 séduire par la propagande de la colonie rurale de Starnthwaite.
À la place du socialisme agraire et de la coopération intégrale, ils découvrent une maison de correction.
La Starnthwaite Home Colony est fondée en 1892 à Starnthwaite Mill, non loin de Crothwaite dans le Lake District. Son fondateur, Herbert Vincent Mills est pasteur de l'Unitarian Chapel de Kendal et se fait connaître par la publication en 1886 du livre Poverty and the State dans lequel il propose des colonies autosuffisantes comme solution au problème du chômage et de la pauvreté, à la façon du révérend australien Horace Tucker au même moment à Wonwondah ou Red Hill.
Pour concrétiser ses idées, Mills créé une société de colonisation, la Home Colonisation Society et s’engage, avec l’acquisition du domaine de Starnthwaite Mill, dans un changement radical de société à partir d'une coopération intégrale. Il s'agit de créer le modèle britannique d’une communauté de vie, de production, de distribution et de consommation. Elle est inspirée, dans son organisation, des communautés de libres penseurs écossais de l’archipel de Saint Kilda et des colonies de vagabonds créées aux Pays-Bas. Les membres, recrutés parmi une main-d’œuvre urbaine peu qualifiée, doivent trouver à la campagne l’occasion de développer leur talent.
Deux des premiers colons à rejoindre la communauté sont des socialistes au chômage venant de Kentish Town, dans la banlieue de Londres, mais la lettre que Mills leur écrit laisse penser que l’idée d’une vie fondée sur des principes coopératifs ne va pour eux pas de soi : « nous devrons tous vivre sur les produits du village, et dans le but d'assurer cet objectif, nous devrons nous asseoir à une même table et vivre en commun. Dites-moi ce que vous pensez de cet aspect de la vie du village » (Hardy 1979, p. 113).
Pour ceux qui ont connu de mauvaises expériences de travail à Londres et ailleurs, la perspective communautaire peut être séduisante, et dès 1893 on compte 22 membres à Starnthwaite. Mills a bon espoir d'atteindre son idéal de faire de la colonie « a small Utopia of great beauty », une petite utopie d'une grande beauté (Hardy 1979, p. 113). Des socialistes de premier plan le rejoignent par la suite, parmi lesquels la militante féministe Enid Stacy (1868-1903). Le site est présenté comme « l'endroit le plus agréable, tranquille et plaisant que l'homme puisse souhaiter » (Hardy 1979, p. 113). Autour des activités agricoles (culture de fruits, de céréales, de pommes de terre, élevage), on introduit différentes formes d'industrie pour créer une économie équilibrée. Le domaine originel est vite agrandi par l'achat de la ferme voisine de Browhead, comportant 50 hectares de vergers dans des vallées abritées : on y fait des tentatives de cultures aratoires, et on y lance aussi l’exploitation intensive de la tourbe.
Moins d'un an après la fondation, une lettre écrite à The Clarion (le journal socialiste de Manchester dirigé par Robert Blatchford), intitulée « Trouble at Starnthwaite », inaugure une série de rapports et de correspondance mettant en doute la légitimité de Starnthwaite en tant qu’entreprise communautaire. Cette lettre est écrite au nom de ses camarades par un des colons, Dan Irving, pour expliquer leurs problèmes et pour dissuader les nouveaux arrivants de rejoindre la communauté en dénonçant le leadership, le manque de sincérité des buts fixés et l’inefficacité de la colonie.
Avec l’extension du domaine, Herbert Mills a en effet introduit des règles plus strictes, et, rencontrant l’opposition de certains colons, leur ordonne tout bonnement de partir. Mills ne reconnaîtra jamais ses torts, expliquant que le succès de l’entreprise dépend de la fermeté de sa ligne. Trois des colons sont finalement évincés, dont Dan Irving et Enid Stacy.
L'idéal de village coopératif intégral est ainsi compromis par le conflit perpétuel entre les aspirations démocratiques des membres socialistes – souhaitant partager le contrôle de l’entreprise coopérative – et le comportement autocratique de Mills. Malgré les efforts d’Irving pour dissuader d’éventuels nouveaux membres, la communauté continue d’attirer les promoteurs de la réforme agraire, car elle conserve une bonne réputation dans ces cercles. C’est aussi vers Starnthwaite que les colons de Norton Hall à Sheffield songent un temps à se replier, peu de temps avant la disparition de leur propre communauté en 1900, avant d'y renoncer.
La communauté de Starnthwaite, plus réputée pour ses fruits que pour sa pratique du socialisme, existe durant 9 ans. Après l’expulsion des membres les plus contestataires, Mills continue ses activités de polyculture et d’arboriculture. Lorsqu’il finit par abandonner le projet et quitte la communauté en 1901, le domaine est vendu à la Christian Union for Social Service. Starnthwaite devient une institution d’éducation accueillant à la campagne les pensionnaires des Workhouses urbaines et les enfants épileptiques. A. W. Simpson, quaker venu de Kendal, y est très impliqué. Le domaine reste donc surtout connu en tant que centre éducatif.
Herbert Vincent Mills, fondateur de Starntwaithe, plaide pour une coopération complète :
« Nous devons coopérer, non seulement pour produire et distribuer, mais nous devons coopérer aussi pour consommer nos produits. Nous devons sortir la coopération de la routine de la vente de produits d'épicerie, et du statut de société anonyme, et entrer dans l'ère de la coopération complète. En d'autres termes, nous devons produire notre propre farine, notre propre avoine, nos pommes de terre et nos fruits ; nous devons élever notre propre bétail, faire pousser notre propre lin, filer et tisser notre lin et notre laine, moudre notre propre grain. Et je crois, qu'en ayant ce genre d'activités très variées, nous devrions être toujours capables de supprimer le chômage en occupant un homme à ce qu'il sait faire le mieux. »
(Herbert Vincent Mills dans The Clarion du 11 juin 1892, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 112-113.)
Robert Blatchford, éditeur du journal The Clarion, visite la communauté en 1892 :
« [Après avoir vu] les faiseurs de chemises, les vendeurs d'allumettes dans les tanières suintantes, les taudis, les bouges d'une Athènes moderne, sombre, sordide et vulgaire, j'ai regardé tout autour les collines ventées, le moulin silencieux, les vieux cottages blancs sommeillant dans l'air pur et doux de la montagne, et j'ai éprouvé de la reconnaissance pour ces quelques acres d'Angleterre libre... pour le présent, il suffit de dire qu'une vraie commune existe, au milieu de Northern Hills. »
(Robert Blatchford, The Clarion du 4 juin 1892, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 113.)
Des membres de la colonie de Strantwhaite contestent le leadership de son fondateur, Herbert Vincent Mills :
« Nous prétendons que nous avons été trompés et traités injustement ; nous avons été attirés dans cet endroit avec la conviction qu’il s’agissait d’une commune, alors qu’il s’agit en réalité d’une maison de correction [workhouse] à ciel ouvert, dirigée d’une manière si arbitraire qu’on n’en a pas connu de telle à Bumbledom. »
(Mills (H. V.), « Trouble at Starnthwaite », The Clarion, 1er avril 1893, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 114.)
Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 111-114.
Coates (Chris), Utopia Britannica. British Utopian Experiments, 1325 - 1945, 2001, p. 219.