Snigs End

Délivrance des « O'Connor's boys ».
En 1848, le chartiste O’Connor espère enfin fonder avec Snigs End, l’harmonieux refuge rural promis à ses « enfants », anciens esclaves de l’industrie.

L’école de Snigs End · (cc) photographie Roger Davies, 2009

Le mouvement chartiste promeut la liberté et la démocratie en Grande-Bretagne par une réforme du système électoral - avec instauration du suffrage universel - et s'engage pour la justice sociale par la lutte contre la pauvreté. Pour permettre aux populations pauvres des villes de vivre en autosuffisance dans des colonies rurales et d'obtenir le droit de vote conditionné au statut foncier des individus, le mouvement décide de créer en 1845 la Chartist Cooperative Land Company. L' ambition du chartisme est l’émancipation de la classe laborieuse par la création d’une république paysanne fondée sur de petites exploitations agricoles. Le fondateur de la Chartist Land Company, Feargus O'Connor, fait l'apologie de la petite parcelle comme le meilleur moyen pour les familles ouvrières de gagner aisance et indépendance. Grâce aux souscriptions de 70 000 modestes travailleurs, la société recueille des fonds importants qui lui permettent de faire l'acquisition de cinq domaines en Angleterre : O'Connorville, Lowbands, Charterville, Snigs End et Great Dodford.

Peu après avoir lancé la colonie de Charterville, Feargus Edward O’Connor fonde Snigs End, quatrième colonie chartiste située à moins de 5 km de Lowbands. L’acquisition de la terre de Snigs End est décidée dès juin 1847 puis finalisée en octobre. L’installation commence en janvier 1848. Snigs End s’étend sur un immense territoire de près de 110 hectares. Conformément au système agraire chartiste, la colonie est organisée en 81 parcelles de 0,80 à 1,20 hectare, formant autant d’exploitations individuelles distribuées par tirage au sort. La Chartist Land Company met en place, dans le moindre détail et avec une très grande efficacité, toutes les installations avant l’arrivée des colons. En janvier 1848, O’Connor arrive à Snigs End, conduisant lui-même à travers les rues de Cheltenham, les chevaux et les chariots transportant les matériaux de construction. Dès le mois de juin de la même année, 70 maisons sont déjà achevées. Une école est également construite. Étant donné l’étendue de la colonie, la rapidité des travaux tient de l’exploit. D’autant que, dans le même temps, les sols ont été préparés et les cultures semées pour accueillir dans les meilleures conditions les 80 premiers colons, urbains sans expérience de l'agriculture. O’Connor fait dans le Northern Star le récit, sur fond de déluge, de l’arrivée des premiers colons à Snigs End, terre promise pour ces « anciens esclaves » qu’il considère désormais comme ses « enfants ». Au fil des fondations successives des villages chartistes, sa vision tend ainsi à devenir de plus en plus messianique.

Les difficultés apparaissent tout de suite : comme en témoigne le récit des origines par O’Connor, trois mois d’averses retardent les récoltes. Entrepreneurs locaux et fermiers vendent aux colons à des prix prohibitifs le matériel dont ils ont besoin. Malgré tout, les membres obtiennent rapidement de bons résultats : la terre est globalement très fertile et les visiteurs sont impressionnés par l'aspect de la colonie et la réussite des cultures. Il n’est pas toujours facile de faire vivre une famille sur ces parcelles réduites. Les colons, dont les revenus proviennent essentiellement de la vente des produits agricoles sur les marchés, subissent aussi des discriminations lorsqu’ils tentent de vendre sur le marché de Gloucester. Malgré cela, les conditions de vie dans les cottages chartistes restent pour eux bien plus favorables qu’en ville, où la promiscuité engendre alors des épidémies.

C'est le conflit entre O’Connor et les colons sur la question du fermage qui assombrit définitivement la renommée flatteuse de Snigs End. À la fin de l’année 1849, O’Connor exige le versement de tous les loyers semestriels en menaçant d’exclusion tout membre qui serait dans l’impossibilité de payer. Derrière ce conflit se cache l’une des grandes failles du système chartiste : l’inégalité du tirage au sort, qui engendre par la suite l’inégalité des revenus. Le souscripteur reçoit en effet une surface de terre proportionnelle à la somme qu’il est en mesure de verser lors de son inscription au « concours ». La résistance s’organise derrière Henry Cullingham, ancien collaborateur de O’Connor, pour qui les colons ne seraient que des locataires sans baux à la solde du fondateur. Tandis que certains membres payent, d’autres sont bien déterminés à protéger leurs terres et à rester solidaires de leurs camarades en cas d’évictions. Même s’il n’y a finalement pas d’exclusions, les départs vers la proche colonie de Lowbands se multiplient. La plupart des colons des origines partent : seuls 16 d’entre eux se trouvent encore sur place en 1851, au moment de la dissolution de la Chartist Land Company, déclarée illégale faute de pouvoir présenter la signature de ses milliers d'actionnaires, et la vente de ses domaines. Dans l'ensemble de ses villages, la Chartist Cooperative Land Company n'est parvenue à installer que 250 familles sur les 70 000 souscripteurs recensés en 1848.

Aujourd’hui, à Snigs End, un certain nombre de parcelles sont encore des exploitations agricoles. On y trouve quelques moutons et cochons, on y fait pousser entre autres des tomates, la culture favorite des premiers locataires chartistes. Les cottages sont très bien conservés et entretenus, le bâtiment d’école demeure aussi, reconverti en pub « Prince of Wales ».

Témoignages

Feargus Edward O’Connor, fondateur, fait en 1848 le récit de l'installation de la colonie de Snigs End :

« Quel plaisant spectacle que ces 80 familles, jusque là tenues en esclavage, et vivant dans des caves, prenant possession de leurs propres châteaux et de leurs propres domaines. Il n’y a pas de mots pour décrire leur sentiment : de la fierté, une sensation d’indépendance, de la gratitude. Tous – les parfaits étrangers et les autres – s’accordent pour dire que jamais on n’avait vu un tel spectacle. Le jour était pluvieux, mais c’était une pluie d’or qui tombait et j’étais heureux de sentir ma peau humide, parce que cela nourrirait les racines des plants, et fournirait leur récolte à mes enfants. Le rassemblement était immense et tout n’était qu’harmonie. »

(The Northern Star, 17 juin 1848, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 100 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 97-102.

Utopia Britannica, [En ligne], URL : http://www.utopia-britannica.org.uk/pages/GLOUS.htm, consulté en mars 2012.



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