Purleigh Colony

La colline russe de l'Essex.
Refuge de l’aristocrate Vladimir Tchertkov et des « doukhobors », anarchistes chrétiens russes, la colonie de Purleigh traduit et diffuse l’évangile tolstoïen en Grande-Bretagne à partir de 1896.

Purleigh, Essex · (cc) photographie Andrew Barclay, 2011

Après plusieurs années de discussion et une expérience communautaire assez limitée, les anarchistes de la Croydon Brotherhood Church pensent venu le temps de fonder des établissements communautaires plus complets, pour mettre davantage en pratique les idées tolstoïennes de résistance passive à la violence des gouvernements. Les membres clés de Croydon et son initiateur, John Kenworthy, délaissent donc leur « Église » et fondent en 1896 la Purleigh Colony, à Cock Clarks, près du village de Purleigh, non loin des communautés d’Ashingdon et Wickford. Comme l’agriculture semble être alors en Angleterre au fondement de toute œuvre réformatrice, on préfère une colonie à la campagne à une communauté urbaine comme l'était Croydon. L’argent apporté par les colons est placé dans un fonds commun, qui permet pour commencer l’achat de quatre hectares de terre. Trois pionniers arrivent à l’automne 1896, pour préparer l'installation de la colonie au printemps suivant. L'admission des membres n'est soumise à aucune règle, certains sont végétariens, d'autres non, on peut apporter des fonds ou pas.

Purleigh Colony entretient des liens directs avec Léon Tolstoï lui-même, qui manifeste son soutien au projet. La colonie accueille de nombreux « doukhobors » russes, membres de ce groupe chrétien proche de l'écrivain anarchiste, persécutés en Russie pour leur pacifisme et leur rejet du clergé. Les membres britanniques les plus éminents de Purleigh ont également vécu ou voyagé en Russie, comme John Kenworthy ou Aylmer Maude, traducteur anglais de Tolstoï. Ce hameau de l’Essex concentre ainsi un mélange unique de culture russe et anglaise.

La communauté prône la tolérance et encourage ses membres à suivre en toutes choses les idées qui leur semblent justes. Elle est surtout composée d’hommes ayant vécu auparavant à la ville, qui renoncent au profit, aux intérêts, à leurs rentes. Plusieurs abandonnent d'excellentes situations dans la banque ou le commerce à Londres. Mais ce sont les réfugiés russes qui donnent la leçon réformatrice la plus nette en matière de transformation sociale et focalisent l’attention des visiteurs. C'est le cas de l’aristocrate en exil Vladimir Tchertkoff (1854-1936), ami et confident de Tolstoï, qui s’établit à Purleigh avec sa femme et son fils. Il a rompu avec son train de vie aristocratique à Saint Pétersbourg pour adopter l'existence simple et les activités anarchistes du groupe.

L’agriculture est l’activité principale : sur les quatre hectares de terre, un hectare et demi est cultivé, le reste est mis en pâture. La terre est plutôt pauvre, mais les colons y remédient rapidement. Durant le premier hiver, les trois colons alors sur place bêchent un peu plus d'un hectare, avec une aide extérieure ponctuelle. Une partie est plantée d’arbres fruitiers, le reste est cultivé intensivement de manière plus ou moins expérimentale. On dispose par la suite de près de deux hectares et demi supplémentaires, avec des cottages et des jardins en location pour les colons. La culture des pommes de terre permet d’améliorer les sols et fournit l’essentiel de la nourriture, différents légumes et quelques carrés d’avoine et de blé sont également plantés. Si certaines cultures en pleine terre produisent peu, le groupe se lance avec succès dans la culture de tomates sous serre. La communauté élève aussi du bétail et des volailles. La production est vendue à l'extérieur grâce au chemin de fer. Différents bâtiments sont construits : une serre de 30 m de long, partiellement chauffée, des abris pour les bêtes, un atelier de menuiserie, et aussi un cottage en brique de six chambres, pouvant accueillir une famille et le repas communautaire. Pour élever les bâtiments, on produit sur place environ 7 000 briques. La communauté diversifie par la suite ses activités avec l’achat d’une presse à imprimer et reprend les activités de la Brotherhood publishing Society de Croydon. Elle édite The New Order et détient l'exclusivité des traductions de Tolstoï par Aylmer Maude.

La vie des membres n'est soumise à aucune forme de règlement. Chacun est gouverné par son bon sens et l’opinion de ses camarades. Les affaires des colons et les détails du travail communautaire sont discutés et organisés lors des réunions du comité hebdomadaire, auquel tous les membres concernés assistent. Rien n’est entrepris sans l’unanimité de tous les colons. Alors que les journées sont consacrées aux travaux agricoles, il y a en soirée de longues discussions et des lectures. On pratique aussi la musique, la gymnastique, la danse. Le dimanche, des réunions informelles ouvertes à tous permettent aux membres de recevoir une aide spirituelle les uns des autres, chaque sujet pouvant faire l’objet de lectures, ou être débattu, pour en tirer le meilleur aspect.

Cette organisation est fructueuse. La communauté est admirée à l’extérieur pour ses méthodes de culture. Le nombre de colons augmente constamment. Malgré la réussite économique, des divisions apparaissent au bout d’un ou deux ans sur la question des critères d'admission dans la colonie. La communauté se radicalise mais devient aussi inégalitaire : une élite apparaît, certains membres sont exclus des décisions. Il y a aussi une discrimination envers les nouveaux entrants issus de la classe laborieuse, sans capital à apporter. Une partie du groupe finit par partir pour fonder la nouvelle colonie de Whiteway, ce qui affaiblit la communauté.

Sur le plan économique, les principes communistes sont peu compatibles avec les lois du capitalisme : toutes les formes de commerce étant par nature égoïstes et malhonnêtes selon les membres de Purleigh, ils refusent des propositions avantageuses qu’ils reçoivent pour les traductions de Tolstoï. Ils renoncent aussi à faire la publicité de leurs produits dans The New Order, car cela supposait une mise en compétition.

Le problème majeur vient des relations étroites avec les doukhobors. En plus de recevoir des réfugiés, nombre de colons expérimentés quittent Purleigh et rejoignent les doukhobors installés sur une nouvelle terre au Canada. Ces départs successifs ont raison de la communauté, et en 1899 on informe Tolstoï de son implosion.
Aujourd’hui, peu de vestiges témoignent de la vie brève mais riche de la communauté. Il reste à Cock Clarks une « Colony House », quelques serres datant des débuts, et le bâtiment abritant autrefois la presse à imprimer. Seuls certains habitants gardent le souvenir qu’un jour, des anarchistes russes ont vécu sur la colline.

Témoignages

Hubert Hammond est membre de Purleigh Colony :

« Nous n’avons pas de règles. Chacun peut faire ce qu’il ou elle veut, surveillé uniquement par son bon sens et l’opinion générale de ses camarades. Nous n’avons pas non plus fixé de règles pour l’admission des nouveaux membres. Certains ont apporté de l’argent, d’autres non. Généralement, nous essayons de donner aux personnes souhaitant nous rejoindre un énoncé clair de nos positions, et nous les laissons décider si elles veulent épouser le même destin que nous et œuvrer vers le même idéal ou pas.
Cet idéal est de mener une vie d’hommes dignes, pour tenter de développer de plus en plus la tolérance et le désintéressement et pour travailler sincèrement à l'avènement d'un temps où nous pourrons accueillir tous ceux qui souhaiteront nous rejoindre. »

(The New Order, avril 1898, cité dans Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 190 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Un membre anonyme de Purleigh Colony :

« Sans une intention de former une confrérie, une communauté monastique, nous souhaitons chacun développer nos vies selon une ligne dictée par notre intime conscience. Bien que nous tentions de cultiver un esprit qui nous fait estimer les autres meilleurs que nous-mêmes, nous voyons également que si nous attendons que tout le monde suive la même ligne, aucun progrès ne sera fait. »

(The New Order, octobre 1897, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 188 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 187-192.

Utopia Britannica, [En ligne], URL : http://www.utopia-britannica.org.uk/pages/ESSEX.htm, consulté en mars 2012.



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