Orbiston Community

Les piliers de Babylone.
Orbiston est en 1825 le premier essai européen de communisme égalitaire du « nouveau système » rationaliste de Robert Owen. Les voisins de la colonie écossaise la baptisent ironiquement Babylone.

« Les piliers de Babylone », vestiges de la communauté d’Orbiston, dans le parc de Strathclyde à Motherwell · photographie anonyme, deuxième moitié du XXe s. (détail) · © North Lanarkshire Council

Frappé par la misère économique et sociale causée par les guerres napoléoniennes au Royaume-Uni, le réformateur de New Lanark, l'industriel socialiste Robert Owen, envisage la création en Écosse d’un village agricole, autonome et fondé sur des principes communautaires dont il assumerait la direction, projet qu’il expose dans le Report to the County of Lanark (1821), où il publie le plan d'une colonie située sur les terres de l'écossais James Archibald Hamilton à Dalzell, près de Motherwell, à mi-chemin entre Glasgow et New Lanark. Rejeté par le comté du Lanark et par le Parlement, ce projet constitue cependant le point de départ du communalisme owénien. Hamilton et Owen, qui se sont rencontrés en 1816, dirigeraient ensemble la communauté. Un prospectus est publié en 1822 et les promesses de souscriptions s’élèvent à 50 000 £ mais la British and Foreign Philanthropic Society qui devait apporter des fonds fait faillite. Owen songe à relancer l’expérimentation de Motherwell, mais il est bientôt accaparé par New Harmony aux États-Unis. Hamilton se retrouve à la tête du projet avec Abram Combe, le propriétaire d’une importante tannerie à Edimbourg, qui de son côté rencontré Owen en 1820. L'un et l'autre sont des adeptes fervents du « nouveau système » de Robert Owen : l'association de toutes les classes sociales, la pleine communauté de travail, de biens et de services, la répartition égalitaire des bénéfices de travail, la communauté des enfants. Ils ont ensemble déjà fait l'expérience d'une coopérative, Edinburgh Practical Society, destinée à 500 familles et comprenant des magasins coopératifs et une école fonctionnant selon les principes de New Lanark. Combe a également tenté de mettre en place un système d’intéressement aux bénéfices pour les ouvriers de sa tannerie.

Au printemps 1825, l’Orbiston Company est fondée. Elle acquiert auprès du général John Hamilton, le père de James Archibald, un site de 115 hectares situé à proximité de la rivière Calder. Elle constitue un capital : elle espère réunir 50 000 £ (200 parts de 250 £). Combe apporte 20 000 £. De nombreux membres précédemment intéressés par l’ancienne version du projet souscrivent. Il est prévu d'accueillir 200 familles. Un bâtiment ambitieux est construit : au centre, un pavillon de quatre niveaux rassemble une partie des espaces communautaires (salle de repas, cuisine, ateliers, salle de bal, bibliothèque) ; de part et d’autre du corps central, des ailes doivent abriter au rez-de-chaussée des magasins, des commerces ou encore une boulangerie et dans les étages des logements individuels pour les membres. Les habitants des environs affublent rapidement le bâtiment et la colonie du nom de « Babylone », en raison de la confusion et de la licence supposées régner à Orbiston. Les travaux agricoles débutent. De nombreux candidats, une centaine d’ouvriers fuyant les maux de la société, rejoignent Orbiston avant même l’achèvement de la première aile de l'édifice. À partir de novembre 1825 Combe publie et imprime à Orbiston un journal d'informations sur Orbiston Community, The Register.

Combe prend la direction de l'expérience. Dans un premier temps, sous son influence et celle d’Hamilton, un système partiellement coopératif et égalitaire est mis en place mais il est mal accepté par les premiers arrivants, en particulier les travailleurs les plus qualifiés. Seul un petit groupe s’essaie pleinement au « nouveau système ». La situation évolue cependant. Au cours de l'été 1826, alors que Combe doit quitter Orbiston pour raisons de santé, la communauté est divisée en deux groupes : la majorité est en faveur de la coopération et de la distribution équitable des ressources ; la minorité est opposée à la propriété collective. Hamilton, qui succède à Combe, réorganise Orbiston en octobre 1826 en confirmant le caractère coopératif et égalitaire de l'expérience. Les membres doivent se faire réélire et adhérer à une profession de foi owéniste ; ils forment un comité chargé d'administrer la colonie. En attendant de devenir collectivement propriétaires du domaine, les colons en deviennent les locataires auprès des actionnaires. Le travail est effectué par l’ensemble des membres répartis dans huit départements (travaux domestiques, commerce, police, logement, éducation, agriculture, industrie, artisanat) ayant chacun à leur tête un superintendant. Les travailleurs bénéficient d'un crédit d'achat dans le magasin communautaire en contrepartie de leur contribution à la production. Les activités agricoles, industrielles (fonderie, maçonnerie, charpente...) et artisanales (imprimerie, reliure, horlogerie, confection...) emploient le plus grand nombre des membres. Les artisans, dont les talents sont très variés à Orbiston, constituent sans doute le groupe le plus uni, partisan de la coopération. Les résistants à l'owénisme se recrutent parmi les agriculteurs et les fondeurs, qui espèrent développer leur activité comme une entreprise distincte. L’éducation, destinée aux enfants comme aux adultes, est prise en charge par Catherine Whitwell, sœur de l’architecte owéniste Stedman Whitwell et ancienne institutrice à New Lanark : débats, conférences, musique, danse, théâtre sont au programme. La majeure partie des membres prennent leurs repas en commun. En juillet 1827, la communauté comprend 298 personnes : 168 adultes, 44 garçons en âge de travailler, et 86 jeunes filles et enfants.

Malgré le succès de certaines branches de production, la situation d'Orbiston est mauvaise. La communauté est fortement endettée et une partie des actionnaires se montre tout à fait sceptique sur la réussite de l'entreprise. Hamilton, qui a déjà consacré une partie de sa fortune à l'expérience, et Abram Combe évitent la banqueroute d'Orbiston au printemps de 1827, mais ne peuvent rétablir la situation. Les membres quittent peu à peu la colonie ; l'abandon de la coopération et le rétablissement du régime de la « vieille société » n'apportent pas de solutions. La mort de Combe en août met fin aux espoirs. Orbiston est dissoute en décembre 1827 et les terrains sont vendus. Les investisseurs subissent d'importantes pertes et certains membres de l’Orbiston Foundry Company, qui avait conservé un statut autonome, sont emprisonnés.

Il ne subsiste rien aujourd'hui du premier essai owénien au Royaume-Uni, sinon quelques fragments de colonnes près du centre des visiteurs du parc de Strathclyde, connus comme les « piliers de Babylone », surnom qui témoigne de la difficulté de la réception de l'owénisme en Grande-Bretagne.

Témoignages

Robert Wigg est arrivé à Orbiston en avril 1826 ; il devient membre du comité de direction de la communauté d'Orbiston, lorsqu'elle est réorganisée à l'automne 1826 pour mettre véritablement en pratique les principes coopératifs owénistes négligés pendant la première année de l'expérience. Au printemps 1827, Robert Wigg dresse un bilan de la colonie dans les colonnes du journal d'Orbiston, The Register :

« Cela fait maintenant deux ans que la première pierre de cet édifice a été posée, alors que j'ignorais tout du Nouveau Système. Les vérités importantes découvertes en premier par l'infatigable Owen, soulevèrent de l'enthousiasme quand elles furent présentées au public. Pendant quelque temps, les gens les ont tenues pour de bonnes promesses, mais à la longue, ils firent marche arrière, disant qu'il s'agissait d'une vision, alors que les superstitieux étaient effrayés par les étincelles de lumière qui jaillissaient de ses travaux. Ils disaient en somme : « L'homme n'est plus lui-même ; sa grande sagesse l'a rendu fou ; et de plus, notre art de tenir le monde dans la crainte est en danger ; si nous lui accordons crédit, il changera l'ensemble du système social. »
Quelques esprit libéraux cependant, saisirent l'étincelle qui étouffait en silence depuis dix ans, qui ressemble maintenant à une mèche sur le point de s'éteindre et qui avant longtemps, brûlera d'une flamme qui éclairera le monde entier et libérera la race humaine de l'esclavage et de l'asservissement des esprits.
[...] Ici, j'ai appris que le caractère des individus était formé par les circonstances qui constituent leur environnement depuis leur naissance jusqu'à l'âge adulte. Que le travail est la source de la richesse et en conséquence que ce sont les classes travailleuses qui produisent toutes les richesses consommées par les riches alors qu'elles-mêmes sont laissées démunies.
C'est aussi clair que le soleil à l'heure de midi ; rien ne peut être plus évident ou plus simple qu'une compagnie de travailleurs et de travailleuses installée sur un terrain suffisamment grand, où ils peuvent facilement produire en abondance pour eux-mêmes. Ayant appris que les terres d'Orbiston allaient être acquises dans cet objectif, je me suis décidé à devenir, si possible, un membre de cette association, conscient en même temps qu'il faudrait faire face à de nombreuses difficultés. Mon enthousiasme était tel que je quittais père et mère, sœur et frère, pour participer à une expérience dont le succès final montrerait au monde que la pauvreté, le vice, l'ignorance et la misère ne sont pas des maux nécessaires ou inévitables.
Quand je suis arrivé au mois d'avril dernier [1826], j'ai trouvé ici réunies un certain nombre de familles venant des différentes parties de l'Empire et présentant des caractères tout aussi divers. Certaines parmi les plus intelligentes des classes travailleuses et d'autres parmi les plus dépravées, s'adonnant pour beaucoup à boire des alcools forts et à fumer du tabac. En résumé, c'était un vrai spécimen des classes travailleuses dans la vieille société. Ils s'étaient réunis pour des motifs différents. Certains vinrent seulement pour obtenir un emploi (car les propriétaires employaient encore les travailleurs contre des salaires, ce qui causa le départ de beaucoup d'entre eux lorsque cela a cessé). D'autres vinrent pour tous les avantages du Nouveau Système à son tout début ; ils étaient ses admirateurs déclarés et pensaient faire un bond dans le paradis sans difficultés. Ils devinrent bientôt grincheux et grognons, firent le dos rond pendant un moment, et puis se fâchèrent aussi bien avec les difficultés, qu'avec les propriétaires ou le système lui-même, faisant volte-face avec un air indigné pour se vautrer comme des truies dans le bourbier de la vieille société. Mais très peu étaient prêts à faire face aux difficultés de la nouvelle organisation. L'état d'Orbiston à cette époque peut plus facilement s'imaginer que se décrire. Tous étaient étrangers les uns aux autres, et la plupart d'entre eux travaillaient dans l'idée qu'ils étaient employés pour leur propre intérêt individuel. Pendant que les choses étaient dans cet état, ceux qui étaient employés à la construction de l'édifice, pour des salaires élevés à quelques rares exceptions, n'étaient pas en faveur d'un changement ; et bien que tous étaient des disciples déclarés du Nouveau Système, il apparaissait cependant de façon évidente que tous ne s'en faisaient pas une idée juste, car, de manière générale, leurs complètes différences d'opinions étaient la cause de disputes incessantes.
Un autre reproche était que les enfants et les jeunes se trouvaient dans un état de désordre ; ils rôdaient le long des rives de la rivière Calder ou paressaient dans les différents locaux. Ils étaient grossiers, bruyants et mal élevés.
[...] On pouvait voir aussi un relâchement général de la production. Il n'était pas rare de voir des groupes d'individus à l'intérieur ou à l'extérieur du bâtiment, consulter avec un grand intérêt les résolutions du comité ; le discours de M. Untel était bon tandis que celui de M. Untel était mauvais, etc. C'était l'état des choses, autant que je me souvienne, à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. Trouver un remède à ces maux était alors l'affaire du chef de l'établissement, et, bien que tous les maux n'ont pas disparu entièrement, cependant, je pense que nous avons réussi très rapidement, même si beaucoup plus aurait pu probablement être fait si la santé de M. Combe lui avait permis de rester avec nous. »

(Robert Wigg, « A retrospective view of Orbiston and its inmates », The Register for the first society of adherents to divine revelation at Orbiston, 4 avril 1827, n° 30, p. 38-39 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Robert Wigg est arrivé à Orbiston en avril 1826 ; il devient membre du comité de direction de la communauté d'Orbiston, lorsqu'elle est réorganisée à l'automne 1826 pour mettre véritablement en pratique les principes coopératifs owénistes négligés pendant la première année de l'expérience. Au printemps 1827, Robert Wigg dresse un bilan de la colonie dans les colonnes du journal d'Orbiston, The Register :

« Parmi les améliorations qui ont été accomplies, on peut relever les suivantes.
Que l'individualisme dont on se plaignait auparavant a maintenant été supprimé, dans la mesure où cela a été jugé bénéfique pour l'ensemble ; chaque individu commence à regarder maintenant la communauté entière de la même façon qu'un ouvrier considère son patron ; il reçoit du magasin public toutes les marchandises nécessaires pour sa propre consommation, pour un montant qui n'excède pas le salaire d'un journalier tel qu'il est payé dans le voisinage. Il y a neuf mois, il n'y avait rien d'une telle organisation, tout était confusion. Maintenant la communauté est divisée en départements. Chaque département a un superintendant. Les départements sont eux-mêmes divisés en métiers ou tâches, chacun ayant son propre directeur.
Une autre chose qu'il faut remarquer, c'est que les jeunes commencent à être organisés. Certains apprennent des métiers, pendant qu'un plus grand nombre sont employés dans les champs à cultiver le sol, et s'exercent quotidiennement aux pratiques de l'industrie et aux habitudes de propreté sous la superintendance de John Smith et d'Alexandre Hamilton : en réalité, j'ai observé dans le passé qu'il ne faut rien de plus pour améliorer leur comportement que leur rendre justice, c'est-à-dire les placer dans des circonstances qui les amènent à faire par eux-mêmes l'expérience des effets naturels de leur conduite et à former leur intelligence. [...]
J'ai vu aussi beaucoup de nos sœurs membres, qui possèdent une capacité égale à celle des hommes de contribuer au bonheur de l'ensemble de la communauté, employées pour une maigre pitance à faire des fleurs sur de vulgaires tissus pour la vieille société, alors que beaucoup de chambres privées d'hommes célibataires sont dans un état dégoûtant, que deux hommes sont employés uniquement à balayer les couloirs et que les vêtements des jeunes demandent à être raccommodés. Il y a cependant, à l'évidence un esprit d'effort qui se fait jour ; l'espèce de retenue qui existait auparavant parmi les femmes est en train de rapidement disparaître. Et alors que les femmes dans la vieille société ne veulent pas devenir industrieuses, je crois qu'elles ne seront pas derrière les hommes dans la Nouvelle Société où elles jouiront du même respect et des mêmes privilèges que les hommes, avec le même droit à la justice. »

(Robert Wigg, « A retrospective view of Orbiston ans its inmates », The Register for the first society of adherents to divine revelation at Orbiston, 4 avril 1827, n° 30, p. 39 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


En juin 1827, le comité de direction de la colonie forme une commission chargée d'un rapport sur l'éducation à Orbiston :

« Ils jugèrent nécessaire, au cours de leurs travaux, d'étendre leur examen à l'ensemble des enfants au lieu de le restreindre aux garçons les plus âgés comme il était prévu au départ.
Ils eurent l'idée que si l'ensemble des enfants pouvaient être associés ensemble comme les enfants d'une même famille, cela contribuerait grandement à l'adoption complète et générale du système social par les adultes eux-mêmes.
Les propositions suivantes sont avancées comme la base de l'union parmi les enfants.
Que les dortoirs soient ouverts pour tous ceux de moins de 18 ans, conformément au règlement joint.
[...] Que les parents envoyant un de leurs enfants dans les dortoirs doivent fournir des vêtements à la surveillante qui en est responsable et qui entre autres doit en assurer la lessive et le raccommodage.
Que l'ordre et les convenances rendent nécessaires de diviser les enfants en classes selon leur âge et leur sexe.
Que la première classe comprend tous les enfants de moins de cinq ans, garçons et filles, et qu'elle soit placée aussi près que possible de la surveillante.
Que la deuxième classe comprend les enfants âgés de 5 à 12 ans, les filles et les garçons dormant dans des appartements séparés, se couchant à huit heures le soir et se levant à six heures le matin.
Que la troisième classe comprend les enfants de 12 à 18 ans, se couchant à neuf heures et se levant à cinq heures et demie, dormant dans des appartements séparés comme la classe précédente.
[...]
Que l'ensemble des dortoirs doivent être maintenus propres et en ordre, et lavés une fois par semaine ; que la surveillante peut requérir comme elle l'entend l'aide des filles les plus âgées ou d'autres enfants pour nettoyer les lieux, laver et raccommoder les vêtements des enfants.
Que c'est le devoir de la surveillante, non seulement de maintenir les enfants et les dortoirs propres, mais aussi d'être attentive au comportement des enfants et de leur donner de bonnes habitudes.
Que si la surveillante estime fautif le comportement de n'importe lequel des enfants âgés à sa charge, elle en fait d'abord la remontrance à l'enfant lui-même ; et que si cela s'avère sans effet, sa conduite est l'objet d'un rapport au comité de direction. Que de même, si l'enfant ou ses parents ont un grief à l'égard de la surveillante, ils doivent agir de la même manière, d'abord s'en plaindre auprès de la surveillante elle-même, puis en appeler au comité. Que le comité aussi, s'il n'est pas satisfait de la surveillante, lui fera savoir afin que sa conduite s'accorde avec les souhaits de ses membres. »

(Rapport du comité de direction d'Orbiston Community, 19 juin 1827, dans The Register for the first society of adherents to divine revelation at Orbiston, 11 juillet 1827, n° 33, p. 59-60 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

The Register for the first society of adherents to divine revelation a Orbiston in Lanarkshire, N. B. With a circumstantial account of the rise and progress of this,  the first British community founded on the important principles of cooperative, self directed labour, etc., 1826 - 1827.

Donnachie (Ian), « Orbiston: The First British Owenite Community 1825 - 1828 », Spaces of Utopia: An Electronic Journal, n° 2, 2006.



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