Norton Colony

Égyptiens de Sheffield.
Les quelques anarchistes en sandales réunis en 1896 par le poète Edward Carpenter vivent avec simplicité en harmonie avec la nature sur le domaine du château de Norton Hall.

Le parc de Norton Hall, Sheffield · (cc) photographie Vanessa Chettleburgh, 2008

En 1896, un an après les débuts de Clousden Hill Community, un autre groupe d’anarchistes est réuni par le poète Edward Carpenter, une figure locale de Sheffield qui, à la façon de l'écrivain russe Léon Tolstoï, se fait le chantre de l'harmonie avec la nature. Après avoir mené une première expérience de « simplification of life » sur son domaine de Millthorpe, Carpenter loue un cottage et quelques terres sur le domaine du château de Norton Hall, dans les faubourgs de Sheffield. Les colons vivent et travaillent la terre de manière communautaire. Le groupe est influencé par la publication communiste anarchiste Freedom, qui déplore le mode de vie urbain et diffuse les idées de colonies organisées selon les principes d'entraide et de coopération développées par Pierre Kropotkine. La communauté commence avec deux membres, d’autres les rejoignent progressivement, portant leur nombre à sept deux ans plus tard.
À la différence de Clousden Hill, il s’agit moins d’une expérience scientifique que d’un engagement concret pour créer un nouveau mode de vie en lien étroit avec la terre. Il vise à la libération de toute forme d’autorité mais aussi des environnements néfastes. Parmi les principes de ce « retour à la nature », il y a le végétarisme, la proscription de l’alcool, du tabac, mais également du sel, des produits issus de la chimie, des médicaments, de tout aliment fermenté.

La communauté est au début organisée selon des principes communistes. Il n’y a pas de règles établies, toutes les affaires et l’organisation du travail sont discutées autour de la table de la salle à manger commune. Le véritable critère de sélection des nouveaux membres est leur résistance à la pénibilité du travail, comme l’indique le témoignage d’un membre fondateur, Hugh Mapleton : « seuls ceux qui sont déterminés à affronter la monotonie d’un travail dur et mal payé, à sacrifier presque tout moment d’étude et de distraction et à supporter de perpétuels découragements, inconvénients et difficultés, sont capables d’entreprendre cette tâche ; les hommes et les femmes sans colonne vertébrale solide, sans courage ni énergie, ne sont qu’un poids et feraient mieux de rester là où les choses leur seront rendues plus faciles. » (Hardy 1979, p. 185).

L’activité principale est la culture maraîchère, avec un grand jardin et cinq serres ; ils cultivent des fruits et légumes qu’ils vendent au marché, en concentrant leurs efforts sur quelques variétés seulement. La culture des tomates et des salades fait entre autres leur renommée sur les marchés de Sheffield. Ils pratiquent également la vente directe dans les villages avoisinants. Au printemps 1898, ils se lancent dans la vente au détail de semences achetées en vrac, ce qui complète leurs revenus dans une période où ils en avaient peu. Les comptes sont rigoureusement tenus, un apurement hebdomadaire permet de dégager plus facilement de l’argent de poche pour les membres. À l’été 1898, ils se diversifient dans l’artisanat avec la fabrication de sandales dont ils se chaussent, raison pour laquelle ils passent pour des « Egyptiens » aux yeux des villageois. Edward Carpenter, qui est l’instigateur du programme de Norton Colony, n’a jamais rejoint la communauté, mais il est engagé dans les mêmes activités que la colonie. Il fabrique des sandales, fait pousser des légumes et, pour « montrer sa solidarité avec la classe laborieuse » (Hardy 1979, p. 185), tient son propre étalage de légumes sur le marché de Sheffield.

Au moment où les anarchises pensent donner à Norton plus d'importance et d'autonomie et en faire un exemple pour d’autres groupes, la communauté connaît des difficultés : les membres sont inexpérimentés en horticulture, le capital est trop réduit, et les loyers de la terre sont élevés. Le coup d’arrêt est donné au printemps 1900, lorsque le propriétaire refuse de renouveler le bail de la communauté, qui aura vécu environ 4 ans. Les membres pensent à rejoindre la communauté de Starnthwaite Home Colony dans le Lake District, mais y renoncent finalement car selon eux plusieurs petits groupes sont plus puissants qu’une seule grande communauté. Aujourd'hui, les bâtiments de Norton Colony ont disparu, le château de Norton Hall abrite une clinique privée et les terres sont aménagées en parc public.

Témoignages

Hugh Mapleton est un membre fondateur de la colonie de Norton en 1896 :

« Cet été nous avons ajouté à nos activités la fabrication de sandales ; et comme cette manière de se chausser est rapidement devenue populaire, nous espérons beaucoup de cette activité. Nous portons nous-mêmes des sandales, au grand étonnement des villageois, dont beaucoup pensaient par conséquent que nous étions des « Égyptiens ». Nous espérons que nos sandales d’intérieur à 3 shillings la paire seront un moyen de les introduire auprès d’un peuple qui, autrement, ne se serait pas aventuré à les essayer. »

(Hugh Mapleton, The New Order, octobre 1898, cité par Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, citation 74, p. 185 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Hugh Mapleton, membre fondateur de la colonie de Norton en 1896, revient sur l'expérience :

« Nous avons donc décidé de nous dissoudre et d’emporter nos idéaux avec nous dans le monde extérieur. Nous étions heureux ; nous n’avons jamais connu de querelles. Si la terre avait été en pleine propriété, nous aurions probablement été capables de permettre à la communauté de perdurer. »

(Hugh Mapleton, cité par Johnson (Frank), Sheffield telegraph, 30 septembre 1957, dans Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, citation 77, p. 187 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)


Sources et références

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 184-187.



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