Mayland Colony

Socialisme horticole. Thomas Smith, imprimeur, devient expert en « French Gardening » ou maraîchage intensif pour mettre en pratique à Mayland, à l’est de Londres, un socialisme du retour à la terre fondé sur une coopération de savoir-faire entre petits propriétaires d’origine urbaine.

Culture de laitues sous cloches à Mayland · illustration de Thomas Smith, French Gardening, 1909

En 1895, Thomas Smith, imprimeur de Manchester, entend l'appel lancé dans The Clarion par l'écrivain et journaliste socialiste Robert Blatchford en faveur d’une véritable mise en pratique du retour à la terre. Blatchford y décrit dans une série d’articles la vie « arcadienne » d’une famille vivant selon ses envies sur trois acres de terre dans l’Essex. Dès 1896, Smith décide d’adopter ce mode de vie. Il s’établit à Althorne dans l’Essex avec sa femme et ses deux enfants, achète 4,5 hectares de terre (2 hectares de pâture et 2,5 hectares de prairies et terres irriguées), il construit deux maisons identiques, l’une pour lui, l’autre pour son fils Bertram. L’objectif de Mayland Colony est la culture communautaire de légumes à petite échelle et leur vente sur le marché de Londres. Ses réalisations agricoles innovantes seront remarquées par l'anarchiste Pierre Kropotkine, qui les mentionne dans son ouvrage Fields, Factories and Workshops (1899).

Malgré l'idéal socialisant du retour à la terre et du travail communautaire, la propriété privée reste centrale dans l'organisation du groupe, qui se présente comme « une colonie de socialistes plutôt qu’une colonie socialiste » dans les annonces publiées par The labour Annual en 1897 et 1898 : « la propriété individuelle [y est] tempérée par la coopération volontaire. On peut posséder ici plus de terres, et les colons socialistes trouveront des conseils avisés de camarades partageant les mêmes convictions qu’eux » (Hardy 1979, p. 115).

La plupart des premiers colons exerçaient auparavant des activités en ville (employés de bureau, de magasin, enseignants, ingénieurs). Smith lui-même est nouveau dans la culture de la terre. Malgré ce manque d’expérience des membres, la communauté connaît à partir de 1898 des succès économiques. Au début, le travail de la terre est mixte, mais la lourdeur du sol argileux le rend trop pénible pour être poursuivi par les femmes. Encouragé par les bonnes ventes des tomates en pleine terre, Smith investit massivement dans les serres. On passe progressivement à la culture de tomates, de laitues et de fraises précoces entièrement sous serre. Smith démontre que l’argile de l’Essex peut se prêter à ces cultures et sa réputation d'horticulteur est grandissante : il se fait connaître à l'extérieur par ses ouvrages sur le maraîchage : French gardening (1909) et The profitable Culture of Vegetables (1911).

Smith entre en contact avec d'autres partisans du retour à la nature et la communauté reçoit des visiteurs de marque : Pierre Kropotkine, Rider Haggard, Sidney et Beatrice Webb, Keir Hardie et George Lansbury. Kropotkine est particulièrement intéressé par le « French gardening », un maraîchage qui recourt à la culture sous cloches et à l'engrais, et son application par les jardiniers anglais. La réputation de Smith attire en particulier l’attention de l’industriel réformateur américain Joseph Fels, fabriquant de savon impliqué dans la lutte contre la misère, supporter de Fairhope aux États-Unis et engagé dans des entreprises agricoles de l'Essex (à Laindon et Hollesley Bay). Fels n'a pas seulement l'intention d’éradiquer la pauvreté et le chômage ; il a l'ambition de libérer la race humaine toute entière. Fels s’installe à Mayland en 1905, et donne à l’expérience, sous la direction de Smith, une dimension nettement plus importante et une orientation politique tournée vers la lutte contre les grands propriétaires terriens. Il achète le domaine de Nipsells Farm, une terre de 250 hectares proche de celle de Smith, qu’il convertit en petites exploitations dans une optique de rendement à long terme. La « Fels Fruit Farm » comprend 21 exploitations de 5 à 10 acres chacune, avec logements et dépendances. On y pratique également le maraîchage intensif et la culture des fruits. La plus grande partie de la propriété est exploitée comme une ferme sous la direction de Smith, qui conseille les petits propriétaires et supervise leur travail jusqu’à qu’ils trouvent leur propre voie. Un jardin-école d'un hectare est créé ; il est équipé de châssis et de cloches, de cabanons et de points d’eau. Un jardinier parisien qui vit sur le domaine pendant deux ans, introduit les meilleures méthodes utilisées en France.

De son côté, Smith, qui consacre un livre aux efforts de Fels contre le monopole des propriétaires terriens, conserve ses sympathies socialistes. Cependant, la colonie originelle échoue en tant qu’entreprise coopérative, les colons de la première heure quittant l’expérience très tôt. Le journal tolstoïen The New Order explique cet échec par le fait que les membres sont plus attentifs aux contingences matérielles qu'à l'idée de coopérative, les aspirations initiales pour la communauté socialiste ayant ouvert la voie à un schéma plus individualiste de « propriétaires paysans ».

Aujourd’hui, la maison de Smith existe toujours, et le site de Mayland compte encore un grand nombre de pépinières et d'exploitations à petite échelle.

Témoignages

UNE ARCADIE SOUS CLOCHES

Cloche de culture maraîchère
Verre · France, fin du XIXe / début du XXe siècle


L'idéal du retour à la terre de la colonie coopérative de Mayland repose en pratique sur le maraîchage intensif ou French Gardening dont Joseph Smith est devenu un expert reconnu, apprécié en particulier par les socialistes et les anarchistes anglais. Le socialisme des petites propriétés agricoles, déjà promu par les chartistes au milieu du XIXe siècle, suppose un excellent rendement des terres pour parvenir à l'indépendance économique. Une des techniques introduites par Smith en Angleterre est la culture de légumes sous cloches de verre.


Culture de laitues sous cloches à Mayland
Illustration du livre de Thomas Smith, French Gardening, 1909



Sources et références

Kropotkine (Pierre), Fields, Factories and Workshops, 1899, réed. 2008, p. 228-231.

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 114-119.

Bunce (Michael), The Countryside Ideal: Anglo-American Images of Landscape, 1994, p. 83.



voir