Great Dodford

Crépuscule du chartisme.
Great Dodford est en 1848 l’ultime tentative des chartistes pour imposer leur socialisme des petites parcelles agricoles. Justement lorsque leur principe d’attribution des terres par tirage au sort est contesté.

Un cottage de Great Dodford · (cc) photographie Felix P. Ormerod, 2009

Le mouvement chartiste promeut la liberté et la démocratie en Grande-Bretagne par une réforme du système électoral – avec instauration du suffrage universel – et s'engage pour la justice sociale par la lutte contre la pauvreté. Pour permettre aux populations pauvres des villes de vivre en autosuffisance dans des colonies rurales et d'obtenir le droit de vote conditionné au statut foncier des individus, le mouvement décide de créer en 1845 la Chartist Cooperative Land Company. L'ambition du chartisme est l’émancipation de la classe laborieuse par la création d’une république paysanne fondée sur de petites exploitations agricoles. Le fondateur de la Chartist Land Company, Feargus O'Connor (fils du nationaliste irlandais Roger O'Connor), fait l'apologie de la petite parcelle comme le meilleur moyen pour les familles ouvrières de gagner aisance et indépendance. Grâce aux souscriptions de 70 000 modestes travailleurs, la société recueille des fonds importants qui lui permettent de faire l'acquisition de cinq domaines en Angleterre : O'Connorville, Lowbands, Charterville, Snigs End et Great Dodford.

Great Dodford, le dernier des établissements agricoles chartistes, est un défi aux graves difficultés que rencontre en 1848 la Chartist Land Company. Le domaine de 113 hectares, coûte 10 350 £ à la compagnie alors que les souscriptions locales de nouveaux membres baissent dangereusement et que l’attribution des parcelles par tirage au sort est l'objet de critiques croissantes dans la presse. Lorsque le rapport du Parliamentary Select Committee de juillet 1848 condamne officiellement les œuvres de la compagnie basées sur des concours injustes, son chef de file Feargus O’Connor pense qu’il est toujours possible de sauver le programme.

Les critiques concernent essentiellement le mode d’attribution des parcelles par tirage au sort, qui interdit à la plupart des mombreux souscripteurs de la compagnie d'obtenir une parcelle. O’Connor accepte alors d’y renoncer au profit d’une procédure d'attribution des terres aux enchères. Ainsi à Great Dodford, chaque parcelle doit désormais faire l'objet d'offres associées à des dépôts de fonds et des bonus payés à l’avance par les futurs locataires. Du fait de cette mesure, les « O’Connor’s boys », les travailleurs recueillis par les chartistes, sont ici plus souvent des artisans et des membres de la classe moyenne possédant un certain patrimoine que des ouvriers. Si le système du tirage au sort lésait les souscripteurs perdants, cette réforme ne règle pas le problème de la discrimination : la vente opère dorénavant une sélection par la fortune parmi des membres qui avaient malgré tout, avec l'ancien système, des chances égales d'accéder à une parcelle en s'acquittant d'une souscription unique. Ce compromis de taille mis à part, et en dépit des incertitudes croissantes concernant le futur de la compagnie, l’enthousiasme et l’énergie d’O’Connor ne sont pas entamés.

Dans les 14 mois séparant l’achat de la terre en mai 1848 et le jour de l’installation en juillet 1849, 40 parcelles sont mises en culture et aménagées avec des cottages identiques à ceux de Snigs End. Mais ici le manque d’argent se fait sentir : le projet initial prévoyant 70 parcelles est revu à la baisse et une partie de la terre est rapidement vendue pour aider à financer un plan plus resserré. Les plantations estivales sont repoussées jusqu’à ce que les factures soient payées. Plus frappant, le domaine est dépourvu d'école, l'équipement central des autres établissements chartistes, l'outil par excellence de l'émancipation des travailleurs. Les colons payent des loyers plus réduits que sur les autres domaines de la compagnie, du fait du supplément déjà payé à l'entrée, et parce que le domaine comporte moins de services collectifs. Pourtant, leurs revenus dans les années 1850 sont faibles et leur offrent tout juste de quoi subsister grâce à leurs modestes récoltes de blé et de pommes de terre.

Certains des premiers colons ont déjà quitté le domaine avant la dissolution en 1851 de la Chartist Land Company, déclarée illégale faute de pouvoir présenter la signature de ses milliers d'actionnaires. Dans l'ensemble de ses villages, la Chartist Cooperative Land Company n'est parvenue à installer que 250 familles sur les 70 000 souscripteurs rencensés en 1848. À Great Dodford, 25 colons eux restent toutefois sur place après 1851. C'est paradoxalement à ce moment, à partir des années 1860, que la situation des colons s'améliore : avec le développement de la culture de fraises et autres fruits, de fleurs et de légumes destinés au marché de Birmingham, leurs revenus augmentent même beaucoup. À tel point que Jesse Collings, politicien libéral qui fait campagne pour le développement des petites exploitations, souhaite « qu’il y ait au moins trois ou quatre mille Great Dodford en Angleterre » (Hardy 1979, p. 105). Collings considère Great Dodford comme le symbole du modèle « three acres and a cow » – trois acres et une vache – qu'il veut diffuser.

Aujourd'hui, la petite parcelle est toujours la forme dominante de propriété dans le village. Les rues proches du domaine, encadrées par des haies épaisses et des vergers gardent un aspect rural qui fait oublier la proximité de la ville de Birmingham. Mais si le décor est préservé, la vie des habitants est bien différente de celle des colons d'origine : ils travaillent pour la plupart en ville (Longbridge est situé à 15 km). Ce lieu agréable est donc totalement dépendant de la ville, ce que O’Connor aurait violemment rejeté.

Témoignages

Sources et références

Hardy (Dennis), Alternative Communities in Nineteenth Century England, 1979, p. 102-105.



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