Paris / Bucarest : attraction passionnée.
Le roumain Theodor Diamant, jeune et ardent disciple de Charles Fourier à Paris, rentre en 1834 à Bucarest pour fonder un phalanstère. C'est la deuxième tentative d'application de la doctrine du maître après celle de Condé-sur-Vesgre.
Le phalanstère de Scaeni est la seconde expérimentation fouriériste, après celle de Condé-sur-Vesgre.
Le jeune Roumain Theodor Diamant séjourne en 1833 à Paris, où il rencontre Charles Fourier. Devenu un ardent disciple du philosophe réformateur, Diamant, âgé de 24 ans, projette d'établir un phalanstère dans son pays et à son retour en Roumanie en 1834 cherche le soutien de diverses personnalités roumaines. L'éditeur Jean Eliade Radulesco et l'écrivain Jean Ghica, l'un des fondateurs de l'État roumain moderne, sont sensibles au fouriérisme prêché par Diamant. Cependant, seul son cousin et ami, le boyard Emmanuel Balaceanu (Balaciano) l’aide à passer à l’acte en mettant à sa disposition l’un de ses domaines à Scaeni, situé à 65 km au nord de Bucarest.
Au printemps 1835, Balaceanu afferme son domaine pour cinq ans aux membres de la Société agronomique placée sous la direction de l’ingénieur agronome Crateros. L'objectif de cette société « est l'imbrication du travail et du talent en vue de l'activité industrielle et agricole » (Berindei 1991). Un an plus tard, la communauté compte plus d’une cinquantaine de « frères agronomes ». Parmi eux figurent des personnes originaires de Scaeni et du reste de la Roumanie (anciens enseignants, artisans, paysans) ainsi que l’ancien personnel du domaine et les anciens esclaves tziganes libérés par Balaceanu, dont la plupart des femmes de la colonie. Afin de recruter des membres, Balaceanu avait en effet fait diverses promesses : la complète libération des esclaves sociétaires, le respect des droits de l’homme, un enseignement varié et une répartition équitable de revenus. Hormis les tziganes libérés par Balaceanu, qui a pris la direction de la colonie, Scaeni ne voit pas toutefois affluer les esclaves des domaines environnants, mouvement redouté par leurs maîtres au moment de la création du phalanstère.
La société se lance dans la culture du maïs et de la vigne, le jardinage, le défrichement et l’irrigation des terres. Elle acquiert des bêtes de somme, construit puits et fontaines. De plus, conformément à la doctrine de Fourier, une activité industrielle complète l'activité agricole : deux moulins, un moulin à foulon sont en activité ; des cordonniers, des tailleurs, un pelletier et un relieur travaillent sur place. Les produits sont ensuite vendus à Scaeni ou sur le marché de Bucarest par une « filiale » de la Société agronomique. Dès l'origine, la colonie entend mener une activité d'enseignement : « En 1835, Emmanuel Balaceanu publia une annonce par laquelle il faisait savoir qu'on avait créé à Scaeni une "pension" où allaient être enseignés l'économie politique et sociale, la théorie et la pratique de l'agriculture, la théorie et la pratique militaire, les mathématiques et les connaissances nécessaires à un ingénieur, la musique vocale et instrumentale, la danse, le dessin et le catéchisme. On recevait en tant qu'élèves des jeunes filles et des garçons "de n'importe quel âge", à partir de quatre ans » (Berindei 1991). Une quinzaine d'élèves suivent les cours de la pension de Scaeni en 1836. Theodor Diamant est cité comme l'organisateur de la pension mais il semble avoir pris ses distances avec Balaceanu dès le début de l'expérience, comme Fourier l'avait fait vis-à-vis de Condé-sur-Vesgre.
Un bâtiment d'habitation collective est aménagé. Autour de la maison de maître de trois étages, des rangées de chambres, qui évoquent pour les visiteurs des cellules monastiques, sont créées pour les frères agronomes. En comparaison avec les plans du phalanstère que Theodor Diamant avait sollicités auprès de Fourier en 1834 et 1835, les constructions sont modestes mais en rapport avec les faibles moyens dont dispose Balaceanu. Celui-ci prend tout de même à sa charge la cuisine commune de la colonie, où sont préparés cinq menus différents par repas pour satisfaire la variété fouriériste.
La Société agronomique se heurte cependant dès le départ à d’importantes difficultés financières que Balaceanu ne peut résoudre. Le domaine est placé sous séquestre à plusieurs reprises, les biens de Balaceanu sont mis aux enchères, empêchant ainsi l’activité des frères agronomes. Une partie d'entre eux attaquent Balaceanu en justice, lui reprochant une propagande trompeuse notamment quant à la participation de Theodor Diamant. Les derniers frères quittent Scaeni dans les derniers jours de 1836. L’association est enfin dissoute en 1837.
Berindei (Dan), « Le Phalanstère de Scaieni en Valachie », Cahiers Charles Fourier, n° 2, 1991, p. 69-80.