Le Milieu libre de Vaux

La liberté au village.
Sans attendre la grande révolution sociale, des anarchistes décident d’appliquer les principes libertaires, ici et maintenant : un hameau de l’Aisne accueille l’essai du premier « milieu libre » en 1904.

Le village de Vaux · carte postale, vers 1900

En France, vers 1900, des anarchistes militent en faveur d'une expérimentation pratique au sein de la société capitaliste pour démontrer que le communisme libre est la clé du bonheur individuel. Ils veulent agir modestement mais concrètement car ils savent que la révolution sociale n'est pas pour demain. Un groupe constitue en 1902 à Paris une société pour la création et le développement d'un « milieu libre » sans sectarisme idéologique. Elle réunit bientôt 200 sociétaires qui constituent le capital nécessaire à l'expérience communautaire. Le projet de la société séduit Alphonse Boutin, un ancien ouvrier devenu agriculteur aux environs de Château-Thierry (Aisne), qui vend à la société deux maisons dans le hameau de Vaux, et met à sa disposition deux hectares de terres à la condition de participer à l'expérience. La colonie se constitue en février 1903 en société coopérative sous le nom de « Le Milieu libre ». Le capital social est de 1 000 francs divisé en 20 parts de 50 francs, nominatives et ne donnant droit à aucun intérêt. La société verse deux francs par semaine aux membres de la colonie et pourvoie à leurs moyens d'existence. Le premier « milieu libre » en France est né. Les premiers colons s'installent au mois de mars suivant. L'ouvrier tailleur Georges Butaud et sa compagne Sophia Zaïkowska en seront les principaux animateurs.

Avec le capital de la société, les anarchistes achètent d'autres terres, deux nouvelles maisons et des animaux. L'objectif du Milieu libre est d'être autosuffisant pour être le plus parfaitement indépendant de la société capitaliste environnante. L'exploitation agricole ne peut toutefois pas subvenir à tous les besoins des colons. Un commerce entre la colonie et l'extérieur est encore nécessaire. Grâce à la compétence des ouvriers de la colonie, plusieurs ateliers sont ainsi organisés pour répondre tant bien que mal aux commandes : une bonneterie, un atelier de confection, une cordonnerie. Une coopérative de consommation, la Coopérative communiste, est même créée à Paris par Le Milieu libre. Au sein de la communauté, les individus sont censés agir avec une totale liberté. Le Milieu libre ne connaît pas la propriété privée ni le salariat. Ses débuts suscitent la sympathie des habitants de la région et des milieux anarchistes. Le dimanche, la colonie accueille ses amis parisiens qui se chargent de la propagande de Vaux à leur retour. Au cours de l'année 1903, le Milieu libre reçoit 161 visites et perçoit plus de 6 000 francs de dons. Mais rapidement, l'exercice du « Vis comme il te plaît » est confronté au problème de la gouvernance de l'expérience.

En juillet 1903, Butaud, dont les décisions manquent probablement de sens pratique, est taxé d'autoritarisme par le propriétaire Boutin. Ce dernier fait défection et retire son apport, ce qui oblige la colonie à louer 10 hectares de terres à Bascon, à 800 mètres de Vaux. D'autres départs suivent, motivés par l'emprise morale de Butaud, les difficiles conditions d'existence, les rivalités individuelles ou la place des femmes dans la communauté. À la fin de 1903, des 20 colons de Vaux, il n'en reste que 10. Butaud fait mine de se réjouir de cet abandon des communistes occasionnels et polémique avec le journal anarchiste Le Libertaire qui a soutenu le Milieu libre et maintenant fait part à ses lecteurs de ses doutes sur les chances de succès de la colonie. Le Libertaire supporte maintenant la cause d'une expérimentation concurrente, L'Essai d'Aiglemont, qui prive Vaux d'une partie de ses soutiens. En avril 1904, après une nouvelle accusation d'autoritarisme, Butaud quitte Vaux en compagnie de Sophie Zaïkowska avant d'être rappelé au début de 1905 par une nouvelle génération de membres. La situation de la colonie ne s'améliore pas. Seules sept personnes subsistent à Vaux à la fin de 1905. Le premier milieu libre est dissous en 1907. Pour l'anarchiste Émile Armand, la brièveté de l'expérience communautaire n'est pas à déplorer : il voit dans le milieu libre un moyen éducatif pour faire sécession avec la société capitaliste mais aussi pour que les anarchistes se dépouillent de leur « bourgeois intérieur ». Cette double lutte progressera, pense-t-il, dans les expériences successives.

Témoignages

Sources et références

Maitron (Jean), Le Mouvement anarchiste en France, t. I : Des origines à 1914, 1972.

Legendre (Tony), Expériences de vie communautaire anarchiste en France. Le milieu libre de Vaux (Aisne), 1902 - 1907 et la colonie naturiste et végétalienne de Bascon (Aisne), 1911 - 1951, 2006.



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