La Ruche

La colonie des enfants libres de Rambouillet.
Nous voulons manger, boire,
Chanter, rire, danser.
Nous ne voulons plus croire,
Mais savoir et penser.
(L'Internationale des enfants de Sébastien Faure.)

La Ruche de Rambouillet · carte postale, vers 1909 · collection Éric B. Coulaud

« C’est en révolutionnant l’éducation qu’on révolutionnera le milieu social » : après la période des attentats en France de 1892 - 1894, un militant anarchiste pacifiste, Sébastien Faure choisit de se consacrer à une œuvre sociale pratique. Issu d'une famille bourgeoise et très catholique, Faure devient à la fin des années 1880 un propagandiste permanent de l'anarchisme. Il vulgarise les idées libertaires en publiant plusieurs journaux et en prononçant des conférences. Ses talents d'orateur, doux, rigoureux et persuasif, lui gagnent une audience nationale. En 1904, il décide de consacrer une partie des revenus de ses conférences à la fondation d'une école libertaire. Puisque l'individu, dans le credo anarchiste, n'est que la résultante du milieu dans lequel il se développe, des conditions de vie active, indépendante et solidaire, produiront un être nouveau, actif indépendant, solidaire.

En janvier 1904, Faure loue une propriété de 25 hectares au Pâtis, près de Rambouillet. Le domaine comprend un vaste bâtiment de ferme, un grand jardin potager, des bois, des prairies et des terres arables. À la suite d'un incendie, La Ruche est reconstruite et réaménagée suivant un nouveau plan avec réfectoire, buanderie, dortoirs des filles et des garçons, lavabos, salle d'étude, chambres pour les adultes. Le premier groupe d'enfants est accueilli en novembre 1905. Un effectif de 20 à 40 garçons et filles de 7 à 17 ans, orphelins ou en situation familiale et sociale difficile, étudient et travaillent sous la direction d'un groupe d'adultes de 10 à 20 personnes, pour la plupart recrutées dans les milieux anarchistes. Le système éducatif de La Ruche s'inspire directement de l'enseignement expérimenté par l'anarchiste Paul Robin à l'orphelinat Prévost de Cempuis (Oise) : comme chez les fouriéristes, « l'éducation intégrale », laïque, cherche à développer harmonieusement toutes les facultés physiques, intellectuelles et morales des enfants des deux sexes (la « coéducation »). La formation comprend l'instruction élémentaire, la pratique de la musique ou du dessin, et surtout l'apprentissage des travaux agricoles, industriels et domestiques : apiculture, jardinage, culture et élevage, menuiserie, serrurerie, imprimerie, reliure, repassage, couture, cuisine. La ferme et les ateliers bénéficient d'un outillage moderne. Les leçons de plein air, les jeux, les promenades font partie du projet éducatif comme l'apprentissage de l'hygiène, l'exercice de la coopération entre pensionnaires et le développement de l'esprit critique. Les punitions et les récompenses individuelles sont abolies. L'école n'organise pas d'examen. Une grande liberté est laissée aux enfants dans le choix de leur programme parmi les disciplines proposées. L'éducation a aussi un caractère anarchiste militant : le pacifisme, l'anticléricalisme, l'anti-autoritarisme ou le sentiment d'appartenance à la classe des travailleurs se diffusent au sein de la Ruche. On n'y chante pas La Marseillaise mais une Internationale des enfants composée par Faure : Nous voulons manger, boire, / Chanter, rire, danser. / Nous ne voulons plus croire, / Mais savoir et penser.

Sébastien Faure ne considère pas La Ruche comme un simple établissement scolaire : elle « n'est ni une école, ni un pensionnat, ni un orphelinat » répond-il en 1913 à l'inspection académique de Versailles qui voudrait exercer son contrôle sur cette « œuvre d'éducation et de solidarité » (Stephan 2000). La Ruche est une « Famille » selon le terme de Faure. Les adultes ne perçoivent pas de salaire ; ils prélèvent dans une caisse commune ce qui leur est nécessaire. Le séjour des enfants est entièrement gratuit. Ils secondent les « collaborateurs » de Faure dans les activités de la communauté. Les pensionnaires les plus âgés participent sur un pied d'égalité avec les adultes à l'organisation et aux décisions. Tous se tutoient. La Ruche s'apparente à un « milieu libre », nom donné aux expériences communautaires anarchistes des années 1900. Le budget annuel s'élève à 50 000 francs. Faure y contribue pour 30 000 francs, le reste provenant de dons, de la vente du surplus de la production agricole et aussi de cartes postales imprimées sur les presses de l'école (amenées de Cempuis). L'imprimerie travaille aussi pour des sociétés coopératives amies. La Ruche publie un bulletin qui compte un millier d'abonnés en 1914. Chaque année, au mois d’août, se déroule la fête annuelle qui permet de récolter des fonds supplémentaires. La fête attire des milliers de militants syndicalistes, de coopérateurs, de libres penseurs et d'anarchistes qui sont acheminés de la gare de Rambouillet par l'omnibus de l'école constellé d'abeilles. Pendant les mois d’été les enfants partent en vacances en groupe. La chorale de La Ruche se produit dans de nombreux lieux en France, en Suisse et même à l’été 1914 en Algérie.

La guerre prive Faure de ses revenus de conférencier et met fin à l’expérience. La Ruche est dissoute en février 1917. Si la qualité de l'enseignement a certainement été affectée par le renouvellement régulier des « collaborateurs » et leurs aptitudes pédagogiques diverses ou par les séjours des visiteurs, la vie à La Ruche laisse aux anciens pensionnaires le souvenir d'une joie de vivre, d'une indépendance et d'une fraternité qu'ils ne retrouvent pas dans le monde auquel ils doivent se réadapter après 1917.« C’est en révolutionnant l’éducation qu’on révolutionnera le milieu social » : après la période des attentats en France de 1892 - 1894, un militant anarchiste pacifiste, Sébastien Faure choisit de se consacrer à une œuvre sociale pratique. Issu d'une famille bourgeoise et très catholique, Faure devient à la fin des années 1880 un propagandiste permanent de l'anarchisme. Il vulgarise les idées libertaires en publiant plusieurs journaux et en prononçant des conférences. Ses talents d'orateur, doux, rigoureux et persuasif, lui gagnent une audience nationale. En 1904, il décide de consacrer une partie des revenus de ses conférences à la fondation d'une école libertaire. Puisque l'individu, dans le credo anarchiste, n'est que la résultante du milieu dans lequel il se développe, des conditions de vie active, indépendante et solidaire, produiront un être nouveau, actif indépendant, solidaire.

En janvier 1904, Faure loue une propriété de 25 hectares au Pâtis, près de Rambouillet. Le domaine comprend un vaste bâtiment de ferme, un grand jardin potager, des bois, des prairies et des terres arables. À la suite d'un incendie, La Ruche est reconstruite et réaménagée suivant un nouveau plan avec réfectoire, buanderie, dortoirs des filles et des garçons, lavabos, salle d'étude, chambres pour les adultes. Le premier groupe d'enfants est accueilli en novembre 1905. Un effectif de 20 à 40 garçons et filles de 7 à 17 ans, orphelins ou en situation familiale et sociale difficile, étudient et travaillent sous la direction d'un groupe d'adultes de 10 à 20 personnes, pour la plupart recrutées dans les milieux anarchistes. Le système éducatif de La Ruche s'inspire directement de l'enseignement expérimenté par l'anarchiste Paul Robin à l'orphelinat Prévost de Cempuis (Oise) : comme chez les fouriéristes, « l'éducation intégrale », laïque, cherche à développer harmonieusement toutes les facultés physiques, intellectuelles et morales des enfants des deux sexes (la « coéducation »). La formation comprend l'instruction élémentaire, la pratique de la musique ou du dessin, et surtout l'apprentissage des travaux agricoles, industriels et domestiques : apiculture, jardinage, culture et élevage, menuiserie, serrurerie, imprimerie, reliure, repassage, couture, cuisine. La ferme et les ateliers bénéficient d'un outillage moderne. Les leçons de plein air, les jeux, les promenades font partie du projet éducatif comme l'apprentissage de l'hygiène, l'exercice de la coopération entre pensionnaires et le développement de l'esprit critique. Les punitions et les récompenses individuelles sont abolies. L'école n'organise pas d'examen. Une grande liberté est laissée aux enfants dans le choix de leur programme parmi les disciplines proposées. L'éducation a aussi un caractère anarchiste militant : le pacifisme, l'anticléricalisme, l'anti-autoritarisme ou le sentiment d'appartenance à la classe des travailleurs se diffusent au sein de la Ruche. On n'y chante pas La Marseillaise mais une Internationale des enfants composée par Faure : Nous voulons manger, boire, / Chanter, rire, danser. / Nous ne voulons plus croire, / Mais savoir et penser.

Sébastien Faure ne considère pas La Ruche comme un simple établissement scolaire : elle « n'est ni une école, ni un pensionnat, ni un orphelinat » répond-il en 1913 à l'inspection académique de Versailles qui voudrait exercer son contrôle sur cette « œuvre d'éducation et de solidarité » (Stephan 2000). La Ruche est une « Famille » selon le terme de Faure. Les adultes ne perçoivent pas de salaire ; ils prélèvent dans une caisse commune ce qui leur est nécessaire. Le séjour des enfants est entièrement gratuit. Ils secondent les « collaborateurs » de Faure dans les activités de la communauté. Les pensionnaires les plus âgés participent sur un pied d'égalité avec les adultes à l'organisation et aux décisions. Tous se tutoient. La Ruche s'apparente à un « milieu libre », nom donné aux expériences communautaires anarchistes des années 1900. Le budget annuel s'élève à 50 000 francs. Faure y contribue pour 30 000 francs, le reste provenant de dons, de la vente du surplus de la production agricole et aussi de cartes postales imprimées sur les presses de l'école (amenées de Cempuis). L'imprimerie travaille aussi pour des sociétés coopérative amies. La Ruche publie un bulletin qui compte un millier d'abonnés en 1914. Chaque année, au mois d’août, se déroule la fête annuelle qui permet de récolter des fonds supplémentaires. La fête attire des milliers de militants syndicalistes, de coopérateurs, de libres penseurs et d'anarchistes qui sont acheminés de la gare de Rambouillet par l'omnibus de l'école constellé d'abeilles. Pendant les mois d’été les enfants partent en vacances en groupe. La chorale de La Ruche se produit dans de nombreux lieux en France, en Suisse et même à l’été 1914 en Algérie.

La guerre prive Faure de ses revenus de conférencier et met fin à l’expérience. La Ruche est dissoute en février 1917. Si la qualité de l'enseignement a certainement été affectée par le renouvellement régulier des « collaborateurs » et leurs aptitudes pédagogiques diverses ou par les séjours des visiteurs, la vie à La Ruche laisse aux anciens pensionnaires le souvenir d'une joie de vivre, d'une indépendance et d'une fraternité qu'ils ne retrouvent pas dans le monde auquel ils doivent se réadapter après 1917.

Témoignages

LES ABEILLES DU COCHE

Deux bonbonnières
Verre · France, Vallerysthal à Troisfontaines, Lorraine, XXe siècle


La voiture part pour la promenade. Une jeune fille tient les rênes des chevaux, une fillette se charge du fouet. La voiture est bondée. Les petits qui n’ont pas trouvé de place sont montés sur les épaules des quelques adultes. Les plus grands vont à pied ou en vélo. Les enfants sont en chemise et nu-pieds pour la plupart.
L'image du modèle éducatif de Rambouillet contraste avec celles que nous offre en général de ses institutions scolaires une société bien réglée. On ne le voit pas sur la photographie, mais le carrosse de la colonie libertaire de Rambouillet est constellé d’abeilles.


Départ pour la promenade des enfants de La Ruche de Rambouillet
Carte postale, vers 1913 · Collection Éric B. Coulaud



Sources et références

Stéphan (Édouard), La Ruche, une école libertaire au Pâtis à Rambouillet, 1905 - 1917, 2000.

Violet (Renaud), Régénération humaine et éducation libertaire. L’influence du néo-malthusianisme français sur les expériences pédagogiques libertaires avant 1914, mémoire de maîtrise en histoire contemporaine soutenu en octobre 2002, à l'Université Marc Bloch (Strasbourg II), [En ligne], URL : http://mapage.noos.fr/renaudviolet/, consulté en juillet 2011.

Dictionnaire international des militants anarchistes, notice Faure Sébastien, 5 mai 2007, [En ligne], URL : http://militants-anarchistes.info/spip.php?article1624, consulté en juillet 2011.



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