La colonie végétalienne de Bascon

La révolution en salade.
Les 34 variétés de feuilles, de tubercules et de graines qui composent la Basconnaise sont pour les naturanarchistes végétaliens de Bascon le moyen le plus immédiat pour se libérer de la société capitaliste.

Jean Labat, surnommé « Le Christ de Bascon » · carte postale, vers 1920 (détail)

Théâtre d'un milieu libre éphémère dissous en 1912, le hameau de Bascon, près de Château-Thierry, se signale à nouveau à l'attention des anarchistes à la veille de la première guerre mondiale. Les inépuisables expérimentalistes Georges Butaud et Sophia Zaïkowska sont en 1914 à l'origine de la colonie végétalienne communiste de Bascon. Le couple est converti au végétalisme par Louis Rimbault, un anarchiste impliqué dans l'affaire de la Bande à Bonnot et qui a participé au milieu libre de Bascon en 1911. Le végétalisme est un végétarisme radical. Les végétaliens font abstinence non seulement de la chair des animaux mais aussi des produits qu'on tire d'eux comme le lait ou les œufs. Leur régime alimentaire se réduit aux feuilles, aux racines et tubercules, aux céréales et aux fruits. Ils renoncent aux excitants comme le tabac, le thé ou le café et aux boissons fermentées. Rimbault applique le principe de « l'infinie variété végétale alimentaire » pour composer La Basconnaise, une salade faite de 34 variétés potagères. Pour Georges Butaud et Sophia Zaïkowska, le végétalisme n'est pas une simple prescription hygiéniste ; il entraîne une révolution économique et morale. La simplicité des besoins du végétalien lui donne l'indépendance économique et la puissance sur lui-même. L'abstinence végétalienne est le moyen pour l’individu de faire sécession avec la société. Le végétalisme permet à la colonie de Bascon d'atteindre dans son pauvre domaine une autosuffisance que les milieux libres précédents n'ont pu conquérir.

Au début de 1920, Butaud fonde une société coopérative pour valoriser des terres incultes de Bascon. Quelques ares de jardin et un grand baraquement en bois couvert de carton bitumé, acheté après la guerre à l'armée américaine, suffisent à l'existence d'une dizaine de colons en hiver et d'une vingtaine en été. Jusqu'en 1926, la communauté végétalienne de Bascon est active : elle reçoit beaucoup de pensionnaires et de visiteurs français et étrangers comme la grande danseuse américaine Isadora Duncan. L'association des colons est libre ; il n'y a pas de contrat, pas d'obligation communautaire, pas d'horaire. L'existence durable de la communauté s'explique par leur conviction commune. Pour des raisons inconnues, Butaud et sa compagne quittent Bascon en 1926. Butaud meurt peu de temps après. La société coopérative est dissoute en 1931. Le domaine est vendu. Le baraquement abrite une colonie naturienne de vacances jusque 1951.

Témoignages

La recette de la Basconnaise, par son inventeur, l'anarchiste végétalien Louis Rimbault :

« Salade composite, complète, d’infinie variétés.
La salade basconnaise sera composée de toutes verdures potagères, de toutes salades et légumes verts coupés fins, après lavage à l’eau salée d’abord, et rincés à l’eau courante.
Les racines crues, carottes, navets, rutabagas, radis noirs, panais, raves, betteraves, pommes de terre, topinambours, etc., simplement brossés – un légume, un fruit épluchés perdent jusqu’à 8 parties sur 10 de leur valeur nourricière – sans être épluchés, il seront donc nettoyés à la brosse à main dans l’eau courante, si possible, et coupés par le travers du fruit – afin que le fil soit coupé menu – avec un couteau de fer blanc, dit « couteau à la julienne », vendu communément 0 fr. 65 dans les bazars. Ce couteau, garni de petites encoches, produit une julienne qui fait s’entrelacer, dans un coloris appétissant, puis se confondre, tous les éléments en présence.
Le radis rose et le salsifis, seront coupés en petites rondelles à l’aide de l’extrémité du couteau, réservée à l’épluchage de la pomme de terre.
Les fruits, tels que tomate, melon, seront coupés fin en petites tranches, le melon, débarrassé de sa pelure ; le concombre, la pomme, ces deux derniers lavés avec soin et non épluchés, seront débités en julienne, pépins enlevés.
D’autres fruits tels la cerise – noyau sorti – la groseille à grappe, la framboise, l’amande, la noix, la noisette et le marron – ces quatre derniers coupés en petits morceaux – agrémenteront la basconnaise, suivant ce que la saison fournira de fruits.
Les légumes secs : haricots, lentilles, fèves, pois, cuits dans les soupes (au moyen de la boule à riz ou d’un petit sac de toile) seront ajoutés dans la proportion d’une cuillerée à bouche ou deux par personne.
Les haricots verts coupés fins, les fèves fraiches coupées en petits morceaux et le petit pois, peuvent entrer, pour une petite part dans la composition de la basconnaise.
Le chou-fleur (cuit et cru), les légumes verts cuits, les croûtons de pain au four – supprimant le pain sur la table – et la pomme de terre cuite (2 en moyenne par personne), seront également ajoutés.
Le blé grillé (doré seulement) et passé au moulin à café, le maïs également, remplaceront avantageusement les croûtons de pain grillés ou dorés à l’huile chaude à la poêle.
Toutes les variétés de choux crus, coupés très fins, sont tout spécialement recommandés pour leurs principes minéralisateurs ; le chou cuit est à écarter de la basconnaise.
Les amandes et le blé trempé dans l’eau avec quelques gouttes de jus de citron, pendant 12 heures au moins, et passés ensuite au hache-viande, font de la basconnaise un aliment complet, de soutien et de force.
Condiments associés au choix : poireaux, ciboulette, oignons, ail – vert de préférence – pourpier, oseille, persil, cerfeuil, estragon, fenouil, sariette, raiponce, pimprenelle, champignons crus et fleurs de luzerne, de trèfle, de sainfoin ou capucines, de roses, de genêts.
La salade pourra être assaisonnée de citron en remplacement du vinaigre – quelques gouttes de vinaigre peuvent détruire une part importante des principes minéralisateurs – d’huile de bonne qualité, au choix des variétés, et de sel. »

(Louis Rimbault, Le Néo-Naturien, août-octobre 1927, n° 22.)


PANIERS À SALADE

Panier à salade
Métal · France, début du XXe siècle


Arrêté le 19 janvier 1912 comme complice de la bande à Bonnot, Louis Rimbault échappe au procès en simulant la folie. Libéré en 1914, il rejoint la colonie anarchiste de Bascon qu’il convertit au végétalisme.
« La Basconnaise. Salade composite, complète, d’infinie variétés. La salade basconnaise sera composée de toutes verdures potagères, de toutes salades et légumes verts coupés fins, après lavage à l’eau salée d’abord, et rincés à l’eau courante. Les racines crues, carottes, navets, rutabagas, radis noirs, panais, raves, betteraves, pommes de terre, topinambours, etc., simplement brossés – un légume, un fruit épluchés perdent jusqu’à 8 parties sur 10 de leur valeur nourricière – sans être épluchés, il seront donc nettoyés à la brosse à main dans l’eau courante, si possible, et coupés par le travers du fruit – afin que le fil soit coupé menu - avec un couteau de fer blanc, dit « couteau à la julienne », vendu communément 0 fr. 65 dans les bazars. Ce couteau, garni de petites encoches, produit une julienne qui fait s’entrelacer, dans un coloris appétissant, puis se confondre, tous les éléments en présence. » (Louis Rimbault, Le Néo-Naturien, août-octobre 1927, n° 22.)


Photographies anthropométriques de la bande à Bonnot : Louis Rimbault, 20 janvier 1912.
© Bibliothèque nationale de France



Sources et références

Legendre (Tony), Expériences de vie communautaire anarchiste en France. Le milieu libre de Vaux (Aisne), 1902 - 1907 et la colonie naturiste et végétalienne de Bascon (Aisne), 1911 - 1951, 2006. 



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