Colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre

Ménage sociétaire.
Dans la forêt de Rambouillet, le site du premier essai de phalanstère est devenu en 1860 une colonie de villégiature collective pour quelques familles parisiennes, où se cultive encore la mémoire de Charles Fourier.

Une tablée du Ménage sociétaire de Condé-sur-Vesgre · photographie anonyme, vers 1894 (détail) · collection Colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre

La colonie de Condé-sur-Vesgre est la proto-expérimentation du fouriérisme. La tentative est menée du vivant du philosophe et réformateur Charles Fourier (mort en 1837) par quelques disciples du maître sur un domaine situé à 75 kilomètres à l’ouest de Paris. Le principal promoteur de l’entreprise est Alexandre Baudet-Dulary, un riche médecin, député de l’Assemblée nationale. Après avoir lu l’appel à collecte pour l’établissement d’une phalange dans le premier numéro de la revue fouriériste Le Phalanstère, en juillet 1832, il entre en contact avec un propriétaire terrien voisin, l’agronome Joseph-Antoine Devay. Ils fondent une société anonyme au capital de 1 200 000 francs en novembre 1832 : les fondateurs apportent les terres en friche (480 hectares dont 110 appartenant à Devay et 370 à Baudet-Dulary) estimées à 280 000 francs, le reste étant fourni par les actionnaires.

Condé-sur-Vesgre est un laboratoire. Si Charles Fourier se désengage de l’association dès 1833, certains sociétaires participeront aux expérimentations postérieures du socialisme fouriériste, comme Victor Considerant ou François Cantagrel que l’on retrouve parmi les gérants de la société de colonisation du Texas à Réunion en 1854.

En 1833, la colonie compte jusqu’à 150 ouvriers parmi lesquels 60 sont logés dans des habitations légères en bois et briques. Ils établissent des ateliers, défrichent les terres et entament la construction d’un grand corps de ferme. La colonie ne parvient cependant pas à mettre en pratique les principes d'organisation sociale de Fourier. Le manque de capital et l’inexpérience provoquent la dissolution rapide de la société en avril 1834 : les terrains retournent à leurs anciens propriétaires et Baudet-Dulary rembourse les porteurs de parts sur ses fonds propres.

À partir de 1846, une colonie agricole et manufacturière s’établit à Condé-sur-Vesgre, la Société des cartonniers. Fondée par Baudet-Dulary, Boissy, Lenoir et onze autres actionnaires, elle mène la construction de l’actuel bâtiment principal qui comporte des espaces communs (salon, galerie, salle à manger, salle de billard, cuisine et bibliothèque) ainsi que vingt-cinq chambres louées aux sociétaires. Dès 1850, la propriété est louée au « Ménage sociétaire » fondé par Foucault, Luques, Madaule et Joseph Pouliquen.

C’est en 1860 qu’est fondée la troisième colonie de Condé-sur-Vesgre. La Société des cartonniers ayant été dissoute, le Ménage sociétaire se porte acquéreur de la propriété (Leclerc père et fils, Pouliquen et Morette agissent au nom de leurs amis) et se constitue en société. Les membres doivent ainsi adhérer aux statuts, louer au moins une chambre et acquérir des parts de la société. L’aménagement de la colonie se poursuit : construction de pavillons et d'un kiosque, création d’un jardin ou d’un jeu de boules. Le domaine devient la propriété collective de plaisance d’un petit groupe de fouriéristes aisés : « Ce n’est point un lieu de travail ; on y vient, on y réside habituellement pour échapper aux préoccupations de la vie parisienne », déclare Morellet dans son rapport de 1870 (Morellet 1870). Dans cette résidence à la campagne, installée dans l’ancien bâtiment principal, on cultive aujourd’hui encore le souvenir de Charles Fourier.

Témoignages

PLAISANTE CABALE

Paire de boules cloutées
Bois, métal · France, début du XXe siècle


« L’esprit cabalistique a pour trait distinctif de mêler toujours les calculs à la passion ; tout est calcul chez l’intrigant ; ne fut-ce qu’un geste, un clin d’œil, il fait tout avec réflexion et pourtant avec célérité. [...] La Cabaliste est pour l’esprit humain un besoin si impérieux, qu’à défaut d’intrigues réelles, il en cherche avidement de factices, au jeu, au théâtre, dans les romans. » (Charles Fourier, Le Nouveau Monde industriel et sociétaire, 1829, p. 83-84.)
La première tentative d’organisation d’un phalanstère est un fiasco. Mais l’esprit sociétaire ne déserte pas les terres incultes de la forêt de Rambouillet. La colonie de Condé survit en réduisant l’association domestique et agricole à un ménage sociétaire.
« Du samedi au lundi [...] accourent les sociétaires, employés, industriels, professeurs, écrivains, pour se reposer ou s’amuser. Tous fraternisent gaiement à table, dans les parties de boule ou de billard, à la chasse ou à la pêche. » (Jules Duval, « Le ménage sociétaire de Condé-sur-Vesgre », Annuaire de l’Association pour 1868, 1868, p. 146-147.)


Une partie de boules dans la colonie de Condé-sur-Vesgre
Photographie anonyme, vers 1892 · Collection Colonie sociétaire de Condé-sur-Vesgre



Sources et références

« Colonie agricole et manufacturière de Condé-sur-Vesgre », actes de 1848.

Morellet (Alphonse), « Rapport du syndicat résumant le mouvement de la société La Colonie depuis son origine jusqu’au 31 mars 1870 », 1870, [En ligne], URL : http://la.colonie.free.fr/spip/rubrique.php3?id_rubrique=15, consulté en décembre 2011.

Caullery (Maurice), « Une histoire de La Colonie », 1944, [En ligne], URL : http://la.colonie.free.fr/spip/rubrique.php3?id_rubrique=15, consulté en décembre 2011.

Desroche (Henri), La Société festive, 1975, p. 220-223.

Duizabo (Danièle), « Chronologie colonienne, 1832 - 1878 », [En ligne], URL : http://la.colonie.free.fr/spip/rubrique.php3?id_rubrique=15, consulté en décembre 2011.



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