Suisse, Tessin, 1848 – ?, 1909
Libéral et anticlérical, Alfredo Pioda est un homme politique d’envergure dans le canton suisse du Tessin, où il est conseiller national et président du parti radical. Il est fort apprécié, au cours de sa carrière publique, pour son respect de points de vue très éloignés du sien. Il est aussi historien. En 1889, il lance un mouvement, Fraternitas, inspiré par la théosophie qui prend alors son essor. Alfredo Pioda conçoit dans sa région natale, à Ascona, un projet de communauté, dite « couvent laïc », avec l’aide de Franz Hartmann, théosophe, géomancien et astrologue allemand. L’une des sources d’inspiration de Pioda est un livre de Hartmann, Die weisse und schwarze Magie, qu’il traduit en italien. Hartmann est en contact avec Helena Blavatsky, l’une des fondatrices en 1875 aux États-Unis de la Société théosophique créée pour « promouvoir la Fraternité Universelle de l’Humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ». Avec d’autres adeptes des débuts, elle voyage en Inde, à Bénarès et à Aydar où la Société a officiellement son quartier général dès 1882. Son dessein est d’intégrer des éléments de la sagesse hindoue dans le christianisme. On compte parmi les membres influents de ce mouvement la comtesse suédoise Charlotte Wachtmeister et l’Américaine Alice Bailey qui sera de passage à Ascona. Wachtmeister est l’une des signataires des statuts du couvent laïc, et en acquiert des parts.
Dans sa communauté, Pioda institue un régime végétarien, une fraternité universelle d’hommes libres. Un autre autochtone du Tessin participe à cette aventure spirituelle, son ami peintre Filippo Franzoni (1857-1911). Tout le courant théosophique européen parle alors de ce « couvent laïc ». Pioda en a acquis le terrain lui-même, sur la colline de Monescia, à Ascona. On y est à l’affut du génie des lieux, dans une nature qui contribue à la quête intérieure et créative de personnes libérées des préjudices religieux.
Mais l’entreprise s’enlise. Pioda doit vendre ce terrain. C’est pourtant là que va s’élever en 1900 la colonie végétarienne Lebensreform de Monte Verità. Elle met en scène un groupe de jeunes gens mené par Ida Hofmann et Henri Œdenkoven, qui acquiert le terrain de Pioda et prend possession du lieu. La communauté perpétue les aspirations de Pioda, en tant que végétarien, libre penseur, adepte du spiritisme, ami de plusieurs anarchistes.
(Source : Noschis (Kaj), Monte Verità : Ascona et le génie du lieu, 2011, p. 29-32.)