Icarie des plaines de l'Iowa.
La communauté de Nauvoo prépare depuis 1854 son installation définitive à Corning. La migration des Icariens vers l'ouest a lieu en 1857.
L'installation des communistes français à Nauvoo (Illinois) en 1849 est provisoire, une préparation à la création de la cité véritablement icarienne. Dans l'imagination de Cabet, l'Icarie définitive doit s'étendre « dans le désert » sur 40 000 hectares pour établir « trois ou quatre communes de quatre à cinq mille habitants chacune » (Prudhommeaux 1906, p. 58). Au printemps 1854, la colonie de Nauvoo fait l'acquisition de 370 hectares à Corning dans l'Iowa. Elle dépêche 16 hommes et 3 femmes pour y défricher les terres. Pendant trois ans, la petite communauté d'Iowa fonctionne comme une succursale de celle de Nauvoo. Après l'expulsion et la mort de Cabet en 1856, la communauté va réaliser le projet du « Père ». Le 21 mars 1857, la colonie de Nauvoo, pressée par ses créanciers, décide de vendre ses biens et de se transférer en Iowa.
Les 230 icariens ont tous rejoint Corning en 1860, date à laquelle la colonie obtient de l'État d'Iowa son « incorporation ». Depuis 1854, l'avant-garde icarienne s'est employée à développer le domaine. La colonie possède maintenant 1 260 hectares dont 110 mis en culture, 30 cabanes de rondins, un réfectoire, un moulin à vapeur et divers ateliers, 14 paires de bœufs, 71 têtes de gros bétail, 134 moutons et brebis, 19 chevaux, 180 porcs et 250 volailles. Le hameau icarien est surnommé « la ville » par ses habitants. À partir de 1861, la guerre civile, qui fait péricliter la colonie icarienne de Cheltenham, offre un peu de prospérité aux communistes de Corning. Les troupes de passage payent à bon prix l'avoine, le maïs, la viande fraîche ou le porc salé. Les Icariens utilisent ces ressources pour apurer leur dette d'acquisition du domaine. Après la guerre civile en 1865, les Icariens de Corning s'absorbent dans les travaux agricoles sans parvenir à donner un nouvel élan à la vie communautaire. Ils célèbrent bien le 3 février l'anniversaire du départ de la première avant-garde en Amérique, prennent toujours leurs repas en commun, mais l'école est désorganisée, la bibliothèque délaissée et les assemblées hebdomadaires ne traitent que des affaires. La propriété privée apparaît subrepticement : on tolère ainsi la culture de petits jardins autour des nouvelles maisons de bois. D'un autre côté, la cellule familiale et le mariage sont mis en cause par certains qui prônent l'amour libre. La colonie manque de la direction intellectuelle et morale des débuts. En 1866, seulement 36 personnes vivent à Corning : 17 hommes, 9 femmes et 10 enfants. Mais Icarie perdure. Ses comptes sont positifs et d'anciens icariens démissionnaires reviennent à elle. En 1871, l'effectif de la colonie est de 70 personnes, 3 étrangers et 63 Français, pour beaucoup nés en Amérique.
En 1876, au moment où elle surmonte ses difficultés matérielles et où la sécession de la colonie de Cheltenham n'est plus qu'un lointain souvenir, Icarie va être le théâtre d'un nouvel affrontement. La dispute oppose cette fois les vieux de la génération de 1848, représentants d'un communisme cabétien spiritualiste, fortement organisé et hiérarchisé, et les jeunes, attentifs à la tentative de la Commune de Paris, partisans d'un communisme rationnel et libertaire. Ces derniers veulent rendre à l'assemblée élue au suffrage universel (femmes comprises) les pouvoirs confisqués peu à peu par la présidence. Les admissions au sein de la communauté, de communards proscrits notamment, deviennent un enjeu politique décisif car elles peuvent faire basculer la majorité du côté de la Jeune Icarie. Au sein de l'assemblée, la Vieille Icarie conserve la majorité. En septembre 1877, la proposition faite par la Jeune Icarie de scinder la communauté en deux branches indépendantes se partageant les ressources du domaine recueille 13 voix contre 19. Le programme de la minorité est à l'opposé des pratiques de la Vieille Icarie : la complète égalité des sexes, un communisme véritablement intégral de la propriété, le développement de l'industrie à côté de l'agriculture, l'habitation commune ou encore le soutien aux manifestations du communisme international. L'acte d'incorporation de la communauté empêche la division de la propriété du domaine comme elle interdit l'expulsion de la minorité. C'est le statu quo. Les tentatives de conciliation ayant échoué, les séparatistes demandent au tribunal du comté d'Adams la dissolution de la communauté légale.
En mars 1879, l'arbitrage du tribunal attribue à la minorité la partie ouest du domaine avec les principales installations de la « ville » icarienne et à la majorité la partie est sur laquelle elle va fonder la Nouvelle Icarie. La Jeune Icarie obtient un nouvel acte d'incorporation dont la charte réaffirme les idéaux cabétiens : Icarie est fondée pour l'humanité entière, pour démontrer la possibilité du communisme basé sur la solidarité complète. La nouvelle constitution de la Communauté icarienne instaure l'égalité des droits et des devoirs entre les hommes et les femmes, supprime la présidence et donne l'essentiel des pouvoirs à l'assemblée. Après un court moment d'euphorie, la colonie connaît des désertions en masse qu'elle attribue à la dureté de la vie rurale en Iowa. Elle choisit en 1882 de vendre sa part du domaine de Corning et de se réinstaller sous le ciel clément de Californie, où elle fusionne sous le nom d'Icaria Speranza avec une petite communauté d'anciens Icariens d'Iowa, nommée Speranza, établie à 30 kilomètres au nord de San Francisco.
Étienne Fugier a une quinzaine d'années ans au moment où la communauté icarienne quitte Nauvoo pour Corning, entre 1857 et 1860. Après la dissolution définitive d'Icarie, il est resté en Iowa. En 1905, il confie son témoignage à l'historien Jules Prudhommeaux qui est parti enquêter aux États-Unis pour sa remarquable Histoire de la Communauté icarienne (1906) :
« La communauté comptait alors environ soixante personnes, y compris les femmes et les enfants. Les maisons d'habitation de ce temps-là étaient des cabanes de rondins formées d'arbres bruts portant leur écorce et joints les uns aux autres par un crépissage de paille et de boue. Ce n'est que plus tard qu'on a pu employer la chaux et le mortier. À notre arrivée à Corning il n'y avait pas de chemin de fer et les routes demeuraient le plus souvent impraticables, en sorte que nous étions obligés de produire à peu près tout ce dont nous avions besoin. On allait aux provisions deux fois par an, à des marchés éloignés de 150 à 200 miles, et l'absence des hommes, partis avec leurs attelages, durait quelquefois plus de trois à quatre semaines. Pour persévérer dans ces conditons, il fallait une force de résistance étonnante. Ceux à qui elle faisait défaut durent quitter la communauté sans aucun secours pécuniaire. Pendant des années, il n'y eut pas de naissance dans la communauté : les anciens membres étaient déjà trop pauvres pour songer à repeupler. Quand les chemins de fer commencèrent à sillonner le pays, on se mit à défricher les terres avec ardeur et construire partout des maisons. L'abondance et la richesse se répandirent alors dans toute la contrée. Mais nous eûmes grand peine à nous affranchir de notre gêne et de nos dettes. »
(Étienne Fugier cité dans Prudhommeaux (Jules), Histoire de la communauté icarienne, 8 février 1848 - 22 octobre 1898. Contribution à l'étude du socialisme expérimental, 1906, p. 285.)
Le Français Antoine Massoulard part aux États-Unis en 1874 et visite plusieurs communautés socialistes avec peut-être l'idée d'intégrer l'une d'elles. Il se rend à Corning en mai 1875 avant la séparation de la Jeune et de la Vieille Icarie et prend des notes qui ne sont pas destinées à être publiées, mais qu'il communiquera ensuite à Jean-Baptiste André Godin dont il devient le secrétaire au Familistère en 1878 :
« Icarie est située à peu près au centre de la propriété ; les Icariens appellent l'ensemble de leurs habitations la ville. Au milieu se trouve le réfectoire, situé au centre d'une vaste place carrée. Trois des côtés du carré sont occupés par des maisons séparées les unes des autres, et les intervalles sont cultivés en jardins d'agrément. Le troisième côté est consacré aux bâtiments d'utilité commune, buanderie et lavoir, boulangerie, etc. [...] Rien de plus riant que l'aspect d'Icarie. Le grand bâtiment du réfectoire, encadré en arc de cercle par les petites maisons, s'adosse à un grand bois sombre qui sert de repoussoir aux maisonnettes peintes en blanc. Des arbres fruitiers et forestiers, des pelouses et quelques fleurs séparent agréablement les diverses parties de ce village. Malheureusement, il n'y a pas d'eau, ce qui est un grave inconvénient, car il rend nécessaire un service de transport qui occupe un homme et un attelage la moitié du jour ; en outre, cela rend économe dans les usages de ce précieux liquide, trop économe peut-être. Les logements se composent en général de deux pièces dont l'une sert de parloir et la seconde de chambre à coucher. Au-dessus et sous le toit sont deux petites chambres pour les enfants. Tel est le plan général adopté. À l'origine, on avait construit des maisons contenant un nombre double d'appartements et destinées à loger deux familles. Mais cette contiguïté n'étant pas goûtée, le mode simple a prévalu et six autres maisons ont été construites sur ce plan. La matière première est le bois et les dimensions sont de 3 ou 4 mètres carrés pour chaque pièce. [...] Les Icariens fument en général, mais la communauté ne fournit de tabac à aucun de ses membres, considérant cette habitude comme au moins inutile. Les fumeurs en sont réduits à cultiver à leurs heures de loisir et à préparer eux-mêmes le tabac dont ils ont besoin. Icarie respecte rigoureusement le principe de la famille. Le mariage est la seule voie ouverte aux relations sexuelles. Un certain nombre de communistes sont pourtant partisans de l'amour libre, mais ils semblent bien n'avoir en cela d'autre idée que la satisfaction de leurs désirs, et ils se heurtent à l'opposition des femmes qui ne croient pas que la communauté ainsi étendue puisse se concilier avec les soins que réclame l'enfance. Il va sans dire qu'il n'y a pas de religion à Icarie. [...] Tous les membres appartiennent à la classe qui d'ordinaire ne reçoit pas d'instruction, à l'exception d'un seul, un ancien maître d'études d'un collège de Bretagne. Mais ses connaissances sont des moins étendues et il ne diffère en rien, ni par la conversation, ni par les manières, des autres Icariens. D'ailleurs l'instruction ne reçoit pas dans la communauté le culte dont elle est digne ; l'instituteur lui-même aurait besoin d'aller à l'école. L'enseignement comprend l'anglais, – le français se parle mais ne s'apprend pas, et la nouvelle génération ne saura pas l'écrire –, un peu de géographie et les quatre règles. Le cours est commun aux garçons et aux filles. [...] En dehors de l'assemblée du samedi où il n'est question que d'affaires, les Icariens ne se réunissent que pour manger ; le repas achevé, chacun court au plus vite chez soi jusqu'à l'heure du travail qui commence à six heures du matin, dure jusqu'à midi et reprend à deux heures pour finir à six heures du soir. Mais ce temps est mal employé ; on travaille avec mollesse et sans goût ; aussi le produit n'est-il pas rémunérateur autant qu'il pourrait et devrait être. »
(Antoine Massoulard cité dans Prudhommeaux (Jules), Histoire de la communauté icarienne, 8 février 1848 - 22 octobre 1898. Contribution à l'étude du socialisme expérimental, 1906, p. 292-294.)
Le journaliste Charles Nordhoff enquête sur les communautés américaines. Il visite Icaria à Corning au printemps 1874 :
« De cinquante à soixante [membres de la colonie icarienne de Nauvoo] s'établirent sur le domaine en Iowa, et là commença pour eux une vie très pauvre, avec une dette de vingt mille dollars attachée en quelque sorte à leur terre.
Leurs faibles moyens ne leur permettaient de construire au début que de très rustiques abris de boue. Ils s'estimèrent prospères quand ils purent construire des cabanes de rondins, même si elles étaient si misérables que pendant des années, l'idée du confort leur était tout bonnement inconnue. Ils durent faire pousser tout ce qu'ils consommaient, et ils vécurent, et vivent encore, le plus modestement du monde.
La commune icarienne se trouve à environ quatre miles de Corning, une station de la ligne de chemin de fer de Burlington à Missouri River, en Iowa. Ils commencèrent ici avec quatre mille acres de terres, assez bien choisies, et vingt mille dollars de dettes. Après quelques années de lutte, ils abandonnèrent le domaine à leur débiteurs, à la condition de pouvoir en racheter la moitié au bout d'un temps donné. Ils purent y parvenir à force de travailler dur et d'économiser jusqu'au dernier sou ; ils possèdent à présent mille neuf cent trente-six acres, en partie boisés, et pour cette raison d'une jolie valeur.
Ils sont en tout soixante-cinq membres et onze familles. Les familles ne sont pas importantes : il y a vingt enfants et seulement vingt-trois électeurs dans la communauté.
Ils ont une scierie et un moulin à grain ; construits avec leurs économies de cinq ans, ce sont maintenant des sources de revenus. Ils cultivent trois cent cinquante acres de terres et ont cent vingt têtes de bétail, cinq cents moutons, deux cent cinquante porcs et trente chevaux. Il y a encore trois ans, la colonie ne comprenait que des cabanes de rondins, très petites et mal aménagées. Depuis, ils ont remboursé intégralement leur dette et ont commencé à construite des maisons à charpente. La plus remarquable est un édifice à deux niveaux, d'une surface de soixante par vingt-quatre pieds, qui comprend la salle à manger commune, la cuisine, un cellier, et à l'étage une salle pour la bibliothèque et les appartements des familles. Au printemps 1874, ils avaient à peu près une douzaine de maisons charpentées, dont un réfectoire, un lavoir, une étable et une école. Tous les logements sont petits et très modestement construits. Ils ont de petits ateliers pour la charpente, la forge, la fabrication de charrettes et la confection de chaussures, et ils fabriquent, autant qu'il est possible, tout ce dont ils ont l'usage.
La plupart des gens sont des Français, et le français est la langue la plus parlée, bien que j'aie vu que l'on comprenait aussi l'allemand. À part les Français, il ya parmi les membres un Américain, un Suisse, un Suédois, un Espagnol et deux Allemands. Les enfants ont l'air en très bonne santé et le dimanche, on les habille avec grand soin. La vie quotidienne est toujours la plus simple. Dans le réfectoire commun, ils se mettent à table en groupe, n'ont pas de nappes, boivent dans des gobelets en étain et versent l'eau de pichets également en étain. « C'est très simple, me dit l'un d'eux, mais nous sommes indépendants - pas de serviteurs pour l'homme - et nous sommes heureux. »
Ils vendent environ cinq cents livres de laine par an, plus quelques vaches et quelques porcs, et cela constitue, avec les recettes de la scierie et du moulin, leurs sources de revenus.
Leur nombre n'augmente pas, bien qu'ils aient été réduits à trente membres il y a quatre ou cinq ans ; depuis, sept qui étaient partis sont revenus. Je dirais qu'ils ont passé la période la plus dure et qu'ils pourraient connaître l'aisance, à un degré raisonnable, après l'avoir attendue longtemps. Je pense qu'ils n'avaient que peu de capacités pour l'organisation et aucun talent pour les affaires.
Ils vivent selon une constitution assez élaborée, que leur a faite Cabet, qui établit avec beaucoup de soin l'égalité et la fraternité entre les hommes, et le devoir de maintenir toutes choses en commun ; elle abolit la servitude et le service (ou les serviteurs) ; elle rend le mariage obligatoire, sous peine d'amende ; elle favorise l'éducation, et exige la majorité pour faire les lois. En pratique, ils élisent un président chaque année, qui est le directeur exécutif, mais dont les pouvoirs sont strictement limités à mettre en œuvre les décisions de la société. « Il ne vendrait même pas un boisseau de maïs sans instruction », m'a dit l'un d'eux. Chaque samedi soir a lieu l'assemblée de tous les adultes, les femmes aussi bien que les hommes, où l'on discute des affaires et d'autres choses. Des représentants sont choisis à chaque assemblée pour présider et tenir les registres ; le président peut inscrire des sujets à l'ordre du jour ; les femmes peuvent prendre la parole mais elles ne votent pas. L'assemblée se conclut par les directives données au président pour la semaine suivante. Les comptes sont arrêtés chaque mois et présentés à la société pour êtres discutés et critiqués. Aux côtés du président, il y a quatre directeurs – de l'agriculture, de l'habillement, de l'industrie en général et de la construction – qui mènent les travaux nécessaires et dirigent les autres membres. Deux fois par an, ils se fournissent au marché de gros ; juste avant de faire les achats, chaque membre fait connaître ses demandes dans une réunion publique. Le luxe est prohibé par la constitution, mais ils n'ont pas vraiment eu l'occasion d'être victimes de tentations à cet égard. Ils font usage du tabac cependant.
Ils n'ont pas de pratique religieuse. Dimanche est un jour chômé pour le travail ; les jeunes hommes sortent avec des fusils et la société donne parfois une pièce de théâtre, un concert, ou un autre genre de divertissement. Le principe est de laisser chacun faire ce qui lui plaît.
Ils emploient deux ou trois salariés pour couper du bois et travailler à la ferme.
Ils ont une école pour les enfants, dont le président est le professeur.
Les gens sont opposés à ce qu'on appelle une « maison unitaire », et préfèrent disposer de logements séparés pour chaque famille.
Les enfants sont scolarisés jusqu'à l'âge de seize ans ; les gens déplorent leur pauvreté qui les empêche d'offrir aux enfants une meilleure éducation.
Les membres sont admis à la majorité des trois-quarts.
Voilà Icaria. C'est la moins prospère des communautés que j'ai visitées ; et je ne peux m'empêcher de ressentir de la pitié, sinon pour les hommes, au moins pour les femmes et les enfants de la colonie qui ont vécu toutes ces années dans la misère et les épreuves. Un monsieur qui a eu connaissance de ma visite, m'a écrit : « S'il vous plaît, soyez gentil et attentionné à l'égard d'Icaria. L'homme qui ne verrait que le village chaotique et les sabots, et ne rendrait compte que de cela, commettrait une grossière erreur. Dans ce village sont enterrées des fortunes, des espérances nobles et les aspirations d'hommes bons et grands comme Cabet. Fertilisée par ces morts, une abondante et généreuse moisson attend maintenant Icaria. Elle a une histoire mouvementée et extrêmement intéressante, mais son futur est destiné à être plus intéressant encore. Elle, et elle seule, incarne en Amérique une grande idée : le communisme démocratique rationnel. »
Je suis loin de dénigrer l'effort des hommes d'Icaria. Ils ont montré, comme je l'ai dit, un courage et une persévérance étonnants. Ils ont prouvé leur foi dans l'idée communiste par leurs travaux et leurs souffrances qui m'apparaissent dignes de pitié. En fait, le communisme est leur religion. Mais le long siège qu'ils ont tenu à la porte de la fortune montre uniquement combien il est important, et en vérité indispensable à la réussite d'une telle tentative, d'avoir un chef capable, de lui accorder un pouvoir pratiquement illimité et lui vouer une obéissance absolue. »
(Nordhoff (Charles), The Communistic Societies of the United States from Personal Visit and Observations, 1875, p. 336-339 ; traduction de l'anglais Familistère de Guise.)
AU-DELÀ DES SABOTS
Charles Nordhoff est frappé en 1874 par certains usages d'Icaria : « À Icaria, j'ai vu des sabots français, ou souliers de bois, placés devant les portes des maisons, et l'eau servie au repas dans des pots d'étain ». Même s'il s'en défend, le journaliste y voit les signes de la grande pauvreté de la communauté plutôt que des coutumes de Français exilés.
On lui écrit peu après sa visite : « L'homme qui ne verrait que le village chaotique et les sabots, et ne rendrait compte que de cela, commettrait une grossière erreur. Dans ce village sont enterrées des fortunes, des espérances nobles et les aspirations d'hommes bons et grands comme Cabet. Fertilisée par ces morts, une abondante et généreuse moisson attend maintenant Icaria. [...] Elle, et elle seule, incarne en Amérique une grande idée : le communisme démocratique rationnel. » (Charles Nordhoff, The Communistic Societies of the United States from Personal Visit and Observations, 1875, p. 339, 396.)
Prudhommeaux (Jules), Histoire de la communauté icarienne, 8 février 1848 - 22 octobre 1898. Contribution à l'étude du socialisme expérimental, 1906.
Rude (Fernand), Voyage en Icarie. Deux ouvriers viennois aux États-Unis en 1855, 1952.
Cordillot (Michel), La Sociale en Amérique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis, 1848 - 1922, 2002.