Eden

LE PARADIS VÉGÉTARIEN DE LA «?RÉFORME DE LA VIE?»
Nous voulons donc créer un Eden, un paradis ?
Oui, mais cependant pas du jour au lendemain.
Nous devons tous croire à la possibilité d’un paradis sur cette terre, et l’aider activement.
Programme d’Eden en 1894

Eden, qui est la communauté la plus durable d’Allemagne, est aussi la première tentative de mise en pratique - avant Monte Verità - des idées réformatrices du mouvement « Lebensreform », apparu à la fin du XIXe siècle. Le 28 mai 1894, au restaurant végétarien Cérès à Berlin, l’homme d’affaires Bruno Wilhelmi (1865-1909) fonde avec un groupe de végétariens la Vegetarische Obstbau Kolonie « Eden », colonie de production végétarienne Eden, dirigée par un conseil de surveillance dont il devient le président.
Le mot d’ordre du mouvement « Lebensreform » est « le retour à la nature ». Il rejette la société industrielle, le développement des grandes villes et recherche une société nouvelle basée sur le végétalisme, condition nécessaire d’admission dans le groupe, mais aussi la vie et le travail communautaires à la campagne, lieu privilégié et essentiel à l'épanouissement.
En août 1894, avec 2000 marks, Eden s'établit en périphérie d’Oranienburg. C’est une coopérative à responsabilité limitée, sur 150 acres (60 ha) consacrées à la culture de fruits et légumes et à 80 jardins familiaux. Elle regroupe 26 colons, qui sont, à l’origine, des artistes et des intellectuels berlinois partageant la même conception romantique de la vie rurale, la même recherche spirituelle et culturelle. La propriété de la terre, réglée par des baux à long terme, est collective, mais les colons salariés sont propriétaires des maisons individuelles qu’ils construisent. Un grand bâtiment administratif et communautaire est édifié dès 1894.
Cependant d’importants problèmes surviennent rapidement : les sols se révèlent trop peu fertiles, le climat trop rigoureux, les ressources en eau trop inégales pour la culture des fruits et légumes. De plus, les colons, peu formés aux exigences de la vie rurale, se montrent gravement incompétents en agriculture. La colonie est au bord de la faillite. Un changement radical va alors s’opérer. On assouplit certains principes de la Lebensreform : au risque de choquer les puristes, le terme « végétarien » disparaît des statuts, ce qui facilite le recrutement des membres et attire davantage de monde. En 1895, le fondateur d’Eden, Bruno Wilhelmi est mis en minorité et remplacé par un agriculteur, Carl Scheffler, qui va redresser la situation en initiant un effort de formation intensive des colons. L’autonomie financière est soutenue par la création en 1895 de l’Eden- Bank, qui dispose au départ de 30 000 Reichmark : quelques années plus tard, le capital atteindra 900 000 Reichmark. La superficie de la coopérative passe à 178 ha. L’amélioration systématique des sols, par l’apport de fumier et de chaux et par la plantation de haies, permet une augmentation spectaculaire des rendements en fruits, baies et légumes, et la mise au point de nouveaux produits comme « la viande végétale », « le beurre végétal » et « la margarine végétale » édéniens. En 1898, la transformation des fruits est confiée à l’entrepreneur Paul Schirrmeister, puis devient communautaire en 1903. En 1912, une nouvelle usine de transformation des fruits est construite. En 1914 est créé le blason d'Eden : trois arbres stylisés symbolisant la terre, l'économie, et la Lebensreform : "Boden, Wirtschafts und Lebensreform". Il devient l'emblème des magasins "Eden" et des aliments de santé estampillés « Eden », diffusés dans toute l’Allemagne grâce à des campagnes publicitaires créées par des artistes édéniens.
Sur le plan idéologique, la communauté est alors influencée par le réformateur social germano-argentin Silvio Gesell - membre entre 1911 et 1916, puis entre 1927 et 1930 - qui jette les bases d'un nouvel ordre économique naturel basé sur la terre et l'argent libres : « Natürlichen Wirtschaftsordnung durch Freiland und Freigeld ».
Dans les années 30, alors que l’Allemagne est en pleine dépression, la communauté, qui atteint à cette époque environ 800 personnes, prospère et construit de nouveaux édifices communautaites : une salle des fêtes, une bibliothèque, une école, un théâtre, un observatoire, un centre de soins. L’éducation, la pédagogie sont au cœur du projet d’Eden comme en témoigne le slogan « Haben wir die Jungend, so haben wir die Zukunft » (« Nous avons la jeunesse, nous avons donc l’avenir »). Eden met en pratique la « Reformpädagogik », qui a cours en Allemagne. Cette nouvelle éducation revient aux grands pédagogues des siècles passés : Comenius, Rousseau, Lienhard, Pestalozzi, penseurs qui considéraient le milieu rural comme le plus propice à l’éducation, pour atteindre la quiétude et la pureté morale. Dans la pédagogie édénienne, les relations maître-élève sont basées sur le concept de « gouvernement charismatique » théorisé par Max Weber.
Vers 1930, la vie culturelle communautaire à Eden est riche et diversifiée, on y pratique le théâtre, la gymnastique, les séances de lectures, la danse (l’eurythmie), le chant, la musique. Tout au long de l’année, des fêtes rythment les saisons et la vie de la communauté. On développe aussi la réflexion sur la pratique agricole dans une union professionnelle des jardiniers, on crée un groupe d’économie libre.
A partir de 1933, le parti Nazi s’intéresse de près à la communauté, à son patriotisme, à ses mouvements de jeunesse. Par « naïveté », elle accepte une coopération d’ordre idéologique mais en réalité c’est une mainmise totale. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la communauté subit de gros dommages. Elle est reconstruite progressivement. Pendant la période de la RDA, elle est intégrée dans l’économie planifiée, certains de ses biens, dont l'usine, sont nationalisés. Après 1989, la société agroalimentaire est vendue à une entreprise privée, mais les groupes de travail subsitent et la colonie connaît un renouveau lié au regain d’intérêt pour la vie communautaire qui se manifeste alors en Allemagne.

Témoignages

Karl Bartes, habite la colonie d'Eden en 1932.

Le grand secret de la réussite d'Eden réside principalement dans le fait que nous avons réussi, malgré tous les problèmes, à tenir les préoccupations économiques comme condition préalable de tout développement culturel. Mais nous ne misons pas tout sur la carte économique : nous essayons d’apporter, à travers les autres forces - les forces spirituelles, artistiques, sociales - une harmonisation de la vie à Eden, et de faire du simple nombre des colons une entité organique, une communauté.

[Bartes (Karl), "Eden" in Kalender 1932 fûr den Kreis Niederbarmin, p. 50, cité par Scholz (J. J.), Sholz (Joachim Joe), "Haben wir die Jugend, so haben wir die Zukunft", Die Obstbausiedlung Eden/Oranienburg als alternaives Gesellschafts- und Erziehungsmodell (1893-1936), 2002, p. 28.]

Karl Bartes, habite la colonie d'Eden en 1932.

Lorsqu'on entre dans la salle, qui peut accueillir 300 personnes, on est agréablement surpris : d'une atmosphère chaude, confortabe et imméditement accueillante, dans les tons rouge et jaune, avec de luxueux rideaux, des chaises noires, et des lampes blanches ; elle est, avec sa scène surmontée des armes d'Eden, un lieu de réunion et de création dans lequel on peut se rassembler dans de bonnes conditions, jouer, chanter et faire de la gymnastique selon son envie. Deux pianos Bechstein dont un piano à queue de concert, un harmonium, une radio, un phonographe, un systmème complet de projection de films et de diapositives, ainsi qu'un dispositif d'éclairage de scène, rendent possible l'expression du meilleur de chaque art.

[Bartes (Karl), "Das neues Edener Genossenschaftshaus", in Edener Mitteilungen, 1931 p. 5-9, cité dans Schloz, cité par Sholz (Joachim Joe), "Haben wir die Jugend, so haben wir die Zukunft", Die Obstbausiedlung Eden/Oranienburg als alternaives Gesellschafts- und Erziehungsmodell (1893-1936), 2002, p. ??.]

La commission scolaire du gouvernement de Potsdam visite l'école d'Eden le 10 septembre 1918.

L'école manque d'une discipline plus stricte. Ceci est probablement dû à la nature de la colonie Eden, communauté reposant sur un mode de vie saine et ascétique. Les résidents ne fument pas, sont abstinents et végétariens. Leur activité est la culture des fruits. Ce retour à la nature doit permettre d'atteindre la santé. Ainsi les enfants grandissent aussi en liberté, c'est pourquoi ils souffrent pour la plupart de faiblesse nerveuse.

[Sholz (Joachim Joe), "Haben wir die Jugend, so haben wir die Zukunft", Die Obstbausiedlung Eden / Oranienburg als alternaives Gesellschafts- und Erziehungsmodell (1893-1936), 2002, p. 70.]

Sources et références

Programmschrift : vegetarische Obstbau-Kolonie « Eden » (e. G. m.b. H) zu Oranienburg [1894] ; Bartes (Karl), "Das neues Edener Genossenschaftshaus", in Edener Mitteilungen, 1931 p. 5-9 ; Bartes (Karl), "Eden" in Kalender 1932 fûr den Kreis Niederbarmin, p. 50 ; Sholz (Joachim Joe), "Haben wir die Jugend, so haben wir die Zukunft", Die Obstbausiedlung Eden/Oranienburg als alternaives Gesellschafts- und Erziehungsmodell (1893-1936), 2002 ;
Buchholz (Kai), Latocha (Rita), Peckmann (Hilke), Wolbert (Klaus), Die Lebensreform : Entwürfe zur Neugestaltung von Leben und Kunst um 1900,
catalogue d'exposition, Mathildenhöhe Institut, 2001.


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